Les lieux de rencontre il y a quelques décennies

A chaque époque, les adolescents, les jeunes hommes, les retraités et les personnes âgées ont choisi pour se retrouver en groupes, un endroit particulier de l'agglomération ou de ses proches environs. Ces lieux ont changé maintes et maintes fois ; ainsi de nos jours, le rendez-vous des jeunes, adolescents, garçons et filles est la salle polyvalente ou ses abords.

La vie est belle aux rochers du "trou de Macornay" pour des jeunes d'OrgeletDans les quarante premières années du siècle il était très rare de voir se constituer des groupes garçons et filles ; la mixité était très mal vue. Alors les demoiselles restaient cloîtrées, comme autrefois les femmes grecques dans leur gynécée... Rares même étaient les collégiennes qui avaient le droit de recevoir chez leurs parents quelques camarades collégiens dans le seul but d'ailleurs de résoudre quelques équations algébriques difficiles ou de traiter une question ardue d'étude de texte.

Les garçons les retrouvaient, ces collégiennes des jeudis après-midi, quelquefois, le soir, au chalet, à la « coulée », quand elles venaient s'approvisionner en lait. Mais leur temps était compté, pas question de rentrer dix minutes après l'heure fixée par les parents. Et dire que quelques années plus tard, ces jeunes filles si obéissantes, seront suffisamment rusées pour berner leur famille et retrouver, dans un lieu secret, leur amoureux.

Premiers émois

Quand les garçons collégiens se retrouvaient uniquement entre eux, les lieux de rencontre étaient soit l'éperon rocheux de la côte à Robert baptisé « Banc des Cordeliers » qui dominait de quinze mètres les jardins en terrasse, soit la haute corniche qui faisait face à la Colline du château. Ils se retrouvaient là, en groupe, non pas pour évoquer un quelconque travail scolaire, mais simplement pour s'émanciper pendant quelques heures de la tutelle familiale en faisant, en secret, l'apprentissage du fumeur, testant le nombre de cigarettes - des Parisiennes à douze sous le paquet de cinq - ou celles d'un tabac âcre ou même de mousse sèche roulées, au moyen d'un petit appareil qu'on pouvait « consommer » avant les impitoyables nausées.

La place aux vinsA la même époque, les jeunes gens qui avaient déjà dépassé le stade de l'adolescence se retrouvaient au coin de la place au Vin. Le Café de Paris, en face, n'était fréquenté que lorsque la température ne permettait pas des stations dehors prolongées. Et puis les jeunes, dont la plupart travaillaient dans les tourneries locales ne recevaient qu'un maigre salaire et ils ne pouvaient pas se permettre de le dilapider en boissons. Ils ne disposaient pas non plus de moyens de locomotion autres que la bicyclette, donc ils étaient obligés de rester au pays et de se retrouver au coin de la place a Vin, car on s'ennuie moins quand on est en groupe. Un chansonnier local a glorifié cette place au Vin par quelques couplets qu'o fredonne encore « Le coin qu'on aime I mieux - C'est sûrement la place au Vin - Vous pouvez y passer - à l'heure que vous voudrez - vous verrez les jeunes qui font le coin. »

Sous les frondaisons

La promenade de l'ormeD'habitude aussi, les promenades sont des lieux très fréquentés. Orgelet dispose de la promenade de l'Orme, mais trop excentrée elle n'attirait pas spécialement les Orgeletains. Par contre, au coeur de la vile, encerclant de deux côtés son église, la promenade des Petits Arbres avec ses platanes planté en 1848 sur l'emplacement de l'ancien cimetière, a été pendant de longues années l'endroit rêvé où, à l'ombre des feuillages, venaient se reposer et bavarder l'été, les retraités et les personnes âgées.

Sous les petits arbres de l'égliseAssis sur des bancs en bois, ils appréciaient le silence brisé seulement par une auto qui passait et faisait spectacle ou par le glissement du train oscillant sur les rails... Ces ruptures du silence étaient rares, si bien qu'à part supputer le temps qu'il allait faire le lendemain, évoquer le passé, saluer un passant, le calme anesthésiait les personnes âgées qui s'endormaient et rêvaient de paradis quand fusaient de l'église les « Gloria » de la chorale de la paroisse qui répétait.

Réveillées, reposées, sereines, elles regagnaient alors leur demeure, sachant qu'après le repas du soir elles se retrouveraient assises sur les chaises ou les bancs avec toutes les familles du quartier. Et tandis que turbulents joueraient les enfants, tandis que le cultivateur aiguiserait sa faux, tandis que des grands-mères nyctalopes tricoteraient, elles « potineraient » jusqu'à ce que tombe la fraîcheur du soir.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 5 mars 2000