Une famille orgelètaine de notables : les PIDOUX

C'est dans le Poitou que l'on trouve trace des PIDOUX au XVlème siècle. Plusieurs d'entre eux furent médecins des Rois de France. C'est ainsi que Jean PIDOUX reçu médecin à Poitiers en 1571 puis à Paris en 1588, accompagna Henri III en Pologne puis eut l'honneur d'être auprès de ce dernier et de Louis de GONZAGUE mais aussi d'Henri IV, un médecin «des plus savants de son temps» et, certains le prétendent, un «négociateur dans les affaires les plus importantes du royaume». Il mourut à Paris en 1610.
Louis, le cadet de ses deux fils, vint s'installer en qualité de médecin à Nozeroy après son mariage - au terme dit-on d'une aventure romanesque - avec Françoise du PLESSIS proche parente du cardinal de Richelieu. On peut noter par ailleurs que Valentine PIDOUX, sa soeur, donna le jour à l'illustre fabuliste Jean de LA FONTAINE (1621/1695). Louis PIDOUX devait décéder à Nozeroy en 1640.
Et c'est dans la lignée de ce dernier que l'on voit apparaître à Orgelet en 1749 Jean Pierre PIDOUX, marchand épicier, bourgeois de Saint Claude, né à Mièges en 1702. Il avait épousé en premières noces le 18 Février 1738, à Orgelet, Marie Guya MOREL née en cette ville le 16 Mars 1712 avec qui il vécut à Mièges. Au décès de cette dernière il se remaria le 3 Octobre 1746 avec Anne Claudine LOUVRIER et vint s'installer à Orgelet où naquirent ses neuf enfants. Parmi ceux-ci Jean Pierre (1751/1793) prêtre et prieur des Feuillants à Aix en Provence, guillotiné à Marseille le 9 Novembre en même temps que d'autres religieux. Puis Gaspard Hyacinthe (1752/1793) officier royaliste qui se battit dans l'armée des Princes et fut grièvement blessé lors des combats de Valmy, Wissembourg et Landau où il mourut de ses blessures le 18 Septembre. Fait Chevalier de Saint Louis par le Comte de Provence en exil, il fut appelé Chevalier de Maduère, dénomination que l'on retrouve chez certains descendants de la famille en vertu d'un jugement de 1921 autorisant d'accoler "de la Maduère au nom de PIDOUX".
Maison natale des Pidoux à OrgeletFrère des deux précédents, Gabriel Laurent (1755/1818) eut une existence moins dramatique. Marchand épicier à Orgelet il épousa Jeanne Pierrine VERNIER dont il eut quatorze enfants. Et c'est à deux de ceux-ci que nous allons consacrer les pages suivantes, à savoir

  • Louis Gaspard PIDOUX, avocat (1788/1869)
  • Claude François Hermann PIDOUX, médecin (1808/1882)

Louis Gaspard PIDOUX est né à Orgelet le 25 Août 1788. Six au moins de ses frères et soeurs moururent en bas âge. Il ne devait pas être facile en ces temps troublés d'élever une famille où les naissances se succédaient d'année en année, l'abondance ne semblant pas régner dans le foyer. Avec l'arrivée de Bonaparte et l'institution de l'Empire, l'ordre étant rétabli, Louis Gaspard eut cependant l'opportunité de poursuivre des études supérieures. C'est à Dijon qu'il obtiendra le 21 Août 1812 le diplôme de droit lui permettant de s'inscrire le 1er Janvier 1813 au tableau des avocats. Le 30 Juillet 1812 il avait épousé à Paris, Henriette Joséphine PLAISANT du CHATEAU fille d'un conseiller à la Cour de Paris. Ils vinrent s'établir à Orgelet où Louis Gaspard avait été installé notaire le 2 Décembre 1813.
Parallèlement il avait été nommé premier adjoint au maire François BABEY, et c'est alors qu'un événement anecdotique allait le porter sur le devant de la scène. Les orgelètaine et les membres de l'ASPHOR se souviennent d'une scène s'y rapportant du spectacle «Si Orgelet m'était.... Comté» et qui avait valu aux acteurs une véritable ovation. L'événement en question se situe en Janvier 1814 quelques mois avant la première abdication de Napoléon et son exil à file d'Elbe. Les combats faisaient alors rage dans tout l'est de la France. La scène du spectacle Les armées alliées progressaient dans leur marche d'envahissement mais subissaient de grosses pertes. L'aile gauche de l'armée du Prince de SCHWARZENBERG, sous les ordres du général hongrois BUBNA entra à Genève le 30 Décembre 1813. Elle se dirigeait sur Salins qui capitulera le 22 Janvier suivant, pour atteindre Dôle. Mais elle fut freinée dans son avancée, par la destruction, sur ordre du Préfet, du Pont de la Pyle, bel ouvrage couvert construit en bois en 1811 et qui fut incendié par les orgelètains. Orgelet pouvait à juste titre craindre de terribles représailles, le général furieux ayant au demeurant, sous la menace, contraint les habitants de Moirons à rétablir un passage sur l'Ain au moyen d'un ouvrage de fortune. Devant cette menace Louis Gaspard PIDOUX, mit à profit les perfides conseils du Comte de Lille : « Recevez en amis les Alliés, ouvrez leur les portes de vos villes, prévenez les coups qu'une résistance criminelle et inutile ne manquerait pas d'attirer sur vous.»

A la tête d'une délégation PIDOUX marcha crânement à la rencontre du général et de ses troupes. Que se dirent-ils ? Nous l'ignorons. Mais le premier adjoint ayant convié le général à se rendre chez lui, il lui fit faire bombance et c'est du balcon de sa maison, au bas de la rue Royale (aujourd'hui rue de la République) qu'après un appel au calme, fut annoncé aux Orgelètains qu'ils seraient traités sans trop de rigueur. Cet exploit personnel valut à Louis Gaspard l'attribution par Louis XVIII de la décoration du Lys. Mais l'épisode historique des Cent Jours, et la part prise par le Maréchal NEY à Lons-le-Saunier le 14 Mars 1815 dans son déroulement eurent quelques conséquences à Orgelet. PIDOUX y assista à l'affrontement entre bonapartistes et légitimistes, coiffé du bicorne à cocarde et plumet blanc. Royaliste convaincu il arborait aussi le hausse col fleurdelysé et tout naturellement le 6 Avril 1815 François BABEY et lui furent remplacés à la tête de la cité par Claude Joseph PAPILLON, chirurgien major retraité qui jura fidélité à l'empereur. Ce fut le début d'une longue inimitié entre les deux familles. L'annonce de la seconde abdication de Napoléon devait à nouveau renverser les rôles et le 22 Juillet le dernier nommé se retira au bénéfice de ceux qu'il avait évincés précédemment. C'est en raison de sa fidélité monarchiste que le 31 Octobre 1816 le Chevalier de COUCY, préfet du Jura, nommera Louis Gaspard PIDOUX premier magistrat d'Orgelet, François BABEY ayant été élu député à la "Chambre Introuvable" le 7 Octobre 1815 et devant y siéger à Paris. L'une des premières préoccupations du nouveau maire fut d'envisager les travaux de réfection de l'église passablement dégradée. Mais hélas la situation économique du Jura ne se prêtait guère alors à dégager les ressources nécessaires. Dans une lettre qu'il adressa à son beau père il écrivait «Ici le numéraire est fort rare, il n'y a pas de commerce, les blés ne recouvrent pas leurs semences, les foins sont perdus. »

La période de la Restauration à Orgelet allait attiser la brouille entre les familles PIDOUX et PAPILLON et créer des situations cocasses avec diffusion de pamphlets et procès en Cour d'Assises. Le jeune Claude François Hermann PIDOUX, dont il sera question plus loin vola alors au secours de son frère. Mais 1e15 Avril 1830, Louis Gaspard PIDOUX démissionna de son mandat de maire d'Orgelet. Cette décision, due autant à des soucis personnels qu'à des rivalités municipales, allait accroître les difficultés matérielles du ménage peu fortuné, ayant cinq enfants à charge. En effet la clientèle notariale était drainée par un membre du clan ennemi, François Sylvestre Constant PAPILLON alors notaire et maire d'Orgelet.

Le 1er janvier 1838 PIDOUX remit son office à Maître Joseph VUILLEMENOT -qui deviendra son gendre- et se retira à Onoz. Il avait alors 50 ans mais assez bizarrement, quelques années après, en 1845, une nouvelle vie allait commencer pour lui. On lui confia, sans doute à la suite de sollicitations de sa part, un poste de Juge de paix, mais à Plabennec dans le Finistère. Il quitta Onoz avec un satisfecit de la population qu'il avait d'ailleurs servie aussi comme conseiller municipal. Loin de son pays natal il arrivait en terre inconnue, ne parlant pas le langage breton. Mais à nouveau, après quelques années de purgatoire il allait faire preuve de toutes ses qualités à Brest où on le retrouve, en 1849, juge et à nouveau conseiller municipal. Il se lança même en 1853 dans la construction d'un asile pour enfants pauvres et jeunes délinquants.
Et c'est à la demande conjuguée des autorités bretonnes et jurassiennes que la Croix de Chevalier de la légion d'Honneur lui fut accordée et remise par Napoléon III le 13 Août 1857. Il prit finalement sa retraite de juge en 1865 et devait décéder le 15 Janvier 1869 à son domicile de la rue du Château à Brest, à proximité du Palais de Justice. Une rue du quartier Saint Marc dans cette ville porte son nom au titre d'une délibération en date du 25 Novembre 1957.

Cluade Hermann Pidoux - Lithographie de LAFOSSE (1868)Claude François Hermann PIDOUX, le benjamin de la famille, né le 30 octobre 1808 soit vingt années après son frère Louis Gaspard, allait quant à lui, connaître une autre destinée. Il fit des études au collège d'Orgelet mais, peu enclin à les poursuivre il entra dans la Garde Royale où il parvint au grade de sergent. Cependant à cause d'une hypertrophie du coeur il fut très vite réformé et revenu à Orgelet il y mena joyeuse vie. Ses frères aînés, lassés de subvenir à ses dépenses le mirent en demeure de choisir une orientation digne de la famille. Il décida alors d'entreprendre des études de médecine à Paris et pour compléter les subsides que lui envoyait sa famille il se fit une place dans l'édition en qualité de dessinateur en lithographie, activité dans la quelle il montrait de bonnes dispositions. Dans ces conditions il put poursuivre jusqu'au doctorat ses études médicales avec une thèse remarquée dédiée à son maître TROUSSEAU qui, avec RECAMIER, développait à l'Hôtel Dieu des méthodes nouvelles de thérapeutique. PIDOUX en était un partisan farouche et sa collaboration avec TROUSSEAU eut pour premier résultat de le faire connaître au travers de ses publications dans le "Journal des connaissances médico-chururgicales" suivies en 1836 de la parution d'un "Traité de thérapeutique" auquel TROUSSEAU l'avait associé et qui connut un grand succès.
PIDOUX était alors à même d'entreprendre une brillante carrière dans les hôpitaux parisiens du Bon Secours, de Lariboisière et de la Charité.

Et c'est 1861 qu'il accepta le poste d'inspecteur des Eaux-Bonnes, station thermale réputée des Pyrénées où pendant quelques vingt ans il fut le grand consultant avec au nombre de ses patients de marque l' Impératrice Eugénie et à la grande époque du canal de suez le Khédive. Président de la Société française d'hydrologie il fut élu en 1864 à l'Académie de Médecine. La petite histoire dit, qu'invité alors aux Tuileries par son auguste cliente il s'y rendit avec un habit prêté par l'illustre Auguste TARDIEU doyen de l'Académie. Mais ce dernier avait oublié dans l'une de ses poches une pierre fine antique qu'il tenait d'un ami archéologue. TARDIEU se refusa à ce qu'elle lui soit rendue et l'ayant fait enchâsser l'offrit à PIDOUX en souvenir. Et celui-ci porta dès lors cette belle bague à l'index gauche, ce que l'on voit très bien sur la copie de la lithographie de LAFOSSE (1868), à la page précédente.
De même on le voit dans la tenue qu'il portait à longueur d'année : habit bleu à boutons d'or, gilet blanc, le tout assorti, lorsqu'il voyageait ou se rendait à l'Académie, d'un chapeau haut de forme à longs poils tels que ceux fabriqués alors à Orgelet par la chapellerie AMYE. A l'époque, le célèbre sculpteur François ROUBAUD avait fixé dans le marbre l'allure de PIDOUX : front large et élevé, nez allongé, (tous les PIDOUX ont du nez et abondamment écrivait LA FONTAINE), le menton vigoureusement dessiné.
Buste par Roubaub (1862)C'est en 1849, pour avoir montré en se couchant dans le lit d'un cholérique que ce mal n'était pas contagieux par l'approche, qu'il fut fait Chevalier de la Légion d'Honneur. En 1873 ses "Etudes sur la phtisie " lui valurent le Prix de la faculté de Médecine de Paris. Mais il accueillit avec scepticisme, comme beaucoup d'autres cliniciens français et étrangers, les travaux de VUILLEMIN faisant suite à ceux de LAENNEC et qui mettaient en évidence la contagiosité de la tuberculose. Il faut cependant dire à sa décharge qu'il conseillait malgré tout aux partisans de la contagion de "chercher un vaccin ... de tuberculiser tout le monde bénignement afin que tout le monde ne se tuberculise pas mortellement". Les travaux de Louis PASTEUR et la mise en pratique en 1921 du BCG mirent un terme aux polémiques antérieures à ce sujet.
Il n'est pas possible, en quelques pages de donner la dimension de l'apport de PIDOUX à la médecine moderne. Philosophe à ses heures, ses nombreux écrits le placèrent en position de précurseur en matière d'histologie et lui valurent le qualificatif de "Victor HUGO de la médecine''.
Il avait épousé à Orgelet, le 2 Juin 1834; Marie Louise Euphrasie REBOUR, descendante d'une vieille famille bourgeoise orgelètaine, dont il eut deux filles. Profondément croyant il vécut mal les évènements de la guerre de 1870 et de la Commune.
A partir de 1877 sa santé commença à décliner et il mit fin à ses activités en 1880. II s'éteignit le 12 Août 1882 et repose au cimetière de Montparnasse à Paris.
Commandeur de la Légion d'Honneur, son buste à l'Académie marque la trace de l'apport à la médecine d'un brillant orgelètain. Une rue de l'extension urbaine de notre cité porte son nom.

A. et G. BIDARD

Bibliographie

  • Biographies médicales n°6 Juin 1933
    "Les Maîtres du Passé " Claude Hermann François PIDOUX"
    par le Docteur Maurice GENTY - Librairie J.B BAILLIERE et Fils
  • Registres paroissiaux d'Orgelet
  • Bulletins paroissiaux d'orgelet - Novembre/Décembre 1938 - Janvier/Février/Mars 1939
  • Publications de Louis LAURENT

Iconoqraphie

  • Les biographies médicales
  • Collection personnelle - Claude François Hermann PIDOUX
  • Lithographie LAFOSSE (1868) signée PIDOUX
  • Imprimerie LEMERCIER 27/38 sur Chine