LA RESSOURCE CULTURELLE
ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Actes du colloque de Lons-le-Saunier du 24 au 26 octobre 1996
Textes réunis par Agnès GUELLEC

LE FAIT
DÉPARTEMENTAL

 

 

Restauration du patrimoine historique en milieu rural jurassien :
Orgelet, « Petite Cité Comtoise de Caractère »

Guy BIDARD (Adjoint au maire d'Orgelet)

ORGELET est un chef-lieu de canton situé dans le département du Jura à l'orée de la Région des lacs qui s'étend au sud est de Lons-le-Saunier sur un plateau calcaire d'altitude comprise entre 500 et 800 mètres. Avec aujourd'hui 1 750 habitants Orgelet abrite une panoplie d'activités artisanales et de petites industries qui lui assurent une vie économique et sociale en développement harmonieux. C'est une cité dont le patrimoine bâti ancien est assez représentatif de l' héritage, hélas malmené par les guerres de conquête de Franche-Comté qu'ont légué nos ancêtres à ce que l'on peut appeler la ruralité comtoise actuelle.
En effet, Orgelet a un passé historique très riche dont témoigne l'importance de plusieurs édifices protégés objet de restaurations récentes, passé qui nécessite quelques mots rapides d'introduction.
Aucun écrit, aucune iconographie antérieurs au début du XIIIe siècle ne sont parvenus jusqu'à nous s'agissant du lieu même où est édifiée la cité. Certes les recherches archéologiques ont donné quelques lueurs sur le passé des environs immédiats d'Orgelet. Le néolithique dans la plaine de la Thoreigne, l'âge du Bronze sur le Mont Orgier, l'âge du Fer et la pénétration des Celtes sont attestés par des objets isolés recueillis par les fouilleurs. Jusqu'à l'éclatement de l'empire de Charlemagne, ce territoire, carrefour de voies de communication, vivra dans l'ombre d'une puissance religieuse croissante enserrée entre les terres de l'abbaye de Saint-Claude et de son satellite le prieuré de Saint-Georges.

Aussitôt après la mort de l'empereur, les féodalités rivales couvrirent le territoire de places fortes. C'est alors que s'affirma dans la région la prédominance d'Orgelet avec la venue dans les dernières années du XIIe siècle des comtes de Chalon. Le château d'où ils administrèrent le pays n'eut qu'une existence éphémère. Édifié vraisemblablement à la fin du XIIe siècle il était déjà en ruines dès 1479. Et il n'en reste quasiment rien aujourd'hui si ce n'est le pavement d'une des salles mis au jour en 1975 et exposé actuellement dans l'église.
Dès le début du XVe siècle Orgelet devint le siège d'un bailliage secondaire dans le bailliage d'Aval et sa compétence s'étendait alors sur 200 bourgs et villages environnants. A la Révolution la réorganisation administrative en fit un chef lieu de district au même titre que Dole, Lons-le-Saunier, Poligny, Arbois et Saint-Claude.
Orgelet a donc été durant quatre siècles une ville de grandeur certaine, ce qui explique à la fois l'importance insolite de quelques édifices telle son église. et la propension des Orgelétains à considérer leur cité comme différente de ses semblables d'aujourd'hui : ce serait leur faire injure que de prononcer le mot de village s'agissant de ce bourg attachant blotti en croissant autour du Mont Orgier et dominé par la haute silhouette de son clocher s'imposant aux regards de tous ceux qui abordent cette « petite Cité comtoise de caractère ». Car Orgelet, comme 22 autres cités de Franche-Comté, s'enorgueillit de ce label qui lui a été délivré. Groupées en association, les Petites Cités Comtoises de Caractère se veulent un réseau de communes désireuses : - de préserver et promouvoir leur patrimoine historique dans toutes ses composantes, - d'affirmer leur identité comtoise et de revitaliser leurs ressources culturelles, - de mobiliser leurs habitants autour d'actions coordonnées et formatrices, en un mot de mettre en valeur dans des projets cohérents tout ce qui fait la richesse de la ruralité comtoise, voire de réaffirmer d'une certaine façon son identité.

Orgelet a totalement souscrit à cette ambition qui bénéficie des aides de l'État, de la Région et du Département. De la sorte la Franche-Comté et le Jura montrent l'exemple dans une voie ouverte par la Bretagne, seules ces deux régions ayant actuellement en France matérialisé à ce niveau une volonté d'actions valorisantes en réseau. Alors, qu'a donc fait Orgelet dans ce contexte, qui soit de nature à susciter l'attention de votre honorable assemblée ?
Tout simplement, sur les quatre édifices marquants de son patrimoine historique, elle vient, en une décennie, d'en restaurer entièrement trois, à savoir : - l'ancien couvent des Bernardines, aujourd'hui collège d'enseignement secondaire, - l'Hôtel de Ville, ancien chef-lieu de bailliage, - et enfin l'église Notre-Dame qui sera l'objet de ce propos. L'ensemble de ce travail doit être parachevé dans les années à venir par un traitement approprié des espaces publics mené parallèlement à une refonte de l'assainissement et à un enfouissement partiel des réseaux aériens.

Certains d'entre vous pourront, samedi, mesurer l'importance du programme pluriannuel de restauration de l'église. II est sans doute difficile de le résumer en quelques paroles :mieux vaut peut-être l'illustrer par des projections. Mais tout d'abord quelques mots sur l'édifice certes le plus imposant de la région mais non le plus ancien. En effet ce n'est qu'en 1272 que Jean de Chalon Auxerre, seigneur du lieu, fit construire l'église dédiée à Notre-Dame de l'Assomption en même temps que furent élevées les murailles de défense de la ville dont l'édifice faisait partie intégrante. Agrandie au XVe siècle, un haut beffroi carré y fut adossé pour porter les cloches mais aussi surveiller l'arrivée de l'ennemi d'alors.
Le grand incendie de 1606 puis les destructions de 1637 lors de la conquête firent que le bâtiment à l'exception des chapelles nord qui avaient moins souffert se présente en fait sous la forme d'un ensemble daté du XVIIe siècle. La paix revenue il avait été restauré et embelli mais il eut encore à souffrir des dégradations engendrées par la Révolution et de cette époque jusqu'à nos jours aucun travail important n'avait été entrepris pour assurer sa conservation. II était donc grand temps d'intervenir sur cet édifice dont les murs épais sont le siège d'une humidité persistante.

Le bâtiment est de grande dimension : nef de 46 mètres de longueur et de 15 mètres de hauteur, transept de 32 mètres, clocher de 55 mètres de hauteur. Cela peut surprendre dans une cité d'importance somme toute modeste. Mais ainsi qu'il a été indiqué précédemment il faut y voir la marque de ce que fut Orgelet dans le passé.

L'édifice est classé « monument historique » depuis 1913 ainsi qu'une grande partie de son mobilier. C'est donc sous Maîtrise d'Ouvrage du Ministère de la Culture au travers de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Franche-Comté et de la Conservation Régionale des Monuments Historiques qu'ont été conduits les travaux de restauration. La maîtrise d'oeuvre a été assurée successivement par Messieurs JeanJacques SILL, Éric PALLOT et Pascal PRUNET, architectes en chef des Monuments Historiques, le dernier nommé ayant assumé la direction des travaux de restauration intérieure.

Dans un climat de parfaite collaboration et de grande confiance la commune d'Orgelet propriétaire des lieux a été associée à cette tâche et aux décisions techniques et financières qui en ont jalonné le parcours. Les travaux se sont échelonnés sur une petite décennie. Commencés par les reprises de vitraux et les réfections de toiture dés 1987 ils se sont achevés par la restauration totale de l'intérieur de l'église en 1994, l'édifice ayant été fermé au public pendant une année. Des parachèvements extérieurs ont été pratiqués en 1995/1996. Dans l'intervalle avaient été menés à bien les travaux de drainage du bas côté nord et de restauration de mobilier dont celle d'un remarquable petit orgue du XVIIe siècle.

Après des études préalables poussées et grâce à l'opiniâtreté du Maire et la compréhension de la DRAC la phase la plus spectaculaire de l'opération, c'est à dire la restauration intérieure, put recevoir les financements nécessaires et être programmée au titre de l'exercice 1993. Un certain nombre de décisions de principe furent prises immédiatement :

  • compte tenu de l'état de délabrement des enduits, échafauder entièrement l'intérieur de l'édifice pour accéder en tous points : 5 000 m2 d'enduits fissurés, décollés cloqués ou pulvérulents furent repris,
  • repositionner le Christ, la Vierge et saint Jean sur une poutre de gloire,
  • mettre en oeuvre un éclairage résolument contemporain en harmonie avec la décoration retenue,
  • dans le même esprit de modernisme, restituer le narthex dans sa configuration
    XVIIe et le fermer au moyen d'une paroi vitrée afin de s'opposer aux rigueurs du
    climat et d'assurer une continuité de vision de l'architecture,
  • créer un nouvel espace de concélébration.

Des dispositions complémentaires furent arrêtées :

  • mise en place de déshumidificateurs et installation d'un chauffage de confort par
    circulation d'eau chaude entièrement dissimulé sous les socles des bancs,
  • repositionnement des tableaux et statues restaurés dans un esprit de dépouillement
    laissant place à la mise en valeur de l'architecture sobre et massive de l'édifice, - reprise complète de l'éclairage extérieur.

Mais restait la décision la plus importante , à savoir les choix concernant les décors intérieurs. Les études préalables dont il a été fait mention précédemment orientèrent assez vite les réflexions vers une restauration calquée sur les décors XVIIIe dont on avait une connaissance in situ confirmée par des documents écrits de l'époque.
Une chapelle témoin reconstituant ces décors fut aménagée et l'effet obtenu soumis au verdict des décideurs mais aussi de la population. Il en résulta une solution de compromis consistant à adopter :

  • un décor XVIIIe atténué dans les chapelles : badigeon rosé sur les murs, blanc légèrement ocré sur les voûtes et rouge ocré avec filets partiels sur les nervures. arcs et encadrements des baies,
  • un décor XIXe dans la nef : badigeon rosé sur les murs, blanc légèrement ocré sur les voûtes, gris sur les piliers, eau forte grise sur les pierres apparentes des arcs et balustres.

Détail du carrelage médiéval du château d'OrgeletUne chapelle traitée de manière dite « archéologique » a permis de faire apparaître les différents décors pratiqués au cours des âges et la chapelle témoin perpétue au moins en partie le décor XVIIIe.
Une originalité : la mise en place dans le bras sud du transept du carrelage médiéval découvert au cours des fouilles de 1975 et seul témoin aujourd'hui de l'importance du château dans les temps anciens. II s'agit d'un pavement de 50 m2 environ daté de la fin du XIIIe siècle. Comportant environ 3 000 carreaux de terre cuite recouverte d'un décor vernissé plombifère ou stannifère il prend rang parmi les plus beaux et constitue l'exemple régional le plus complet par le large éventail des motifs qu'il présente.
Carreaux du carrelage médiéval du château d'OrgeletUn témoignage historique de premier ordre est donné par la représentation à plusieurs reprises dans les frises du décor de deux chevaliers. L'un galopant vers la gauche est le comte de Bourgogne portant l'écu « au lion sur champ de billettes », l'autre galopant vers la droite est le sire de Chalon, seigneur d'Orgelet, avec ses armes « de gueules à la bande d'or ». Ce carrelage a été entièrement restauré dans un atelier spécialisé de Périgueux et est disposé verticalement sur une ossature métallique.
Une touche de modernisme sobre, parfois discutée a été ajoutée dans l'édifice par la création d'un espace de concélébration à la croisée du transept, permettant ainsi la célébration des offices face aux fidèles, le choeur XVIIe et son maître-autel ayant de ce fait conservé leur disposition d'époque.
Un point mérite une attention particulière : le remarquable et très élégant nouvel éclairage d'esprit contemporain, constitué de luminaires filiformes création de l'architecte en chef Pascal PRUNET qui diffusent avec beaucoup de sensibilité une lumière mettant en valeur à la fois l'architecture solide de l'édifice, ses décors pastels et l'ensemble des objets mobiliers, tableaux et statues classés dont la plus grande partie a été restaurée dans les dernières années.

On ne saurait conclure sans mettre l'accent sur la grande qualité des intervenants
à cette magnifique réalisation mais aussi sans évoquer les questions de financement.
L'ensemble des travaux conduits de 1987 à 1996 fait apparaître un montant cumulé
de dépenses s'élevant à 12 millions de francs. Globalement et en chiffres ronds : 40 % ont été pris en charge par l'État, 3 % par la Région, 19 % par le Département, 2 % ont été couverts par une souscription publique, et le solde, soit 36 %, par le budget communal.