Michel BREZILLON
(1924/1993)

Un archéologue et un homme hors du commun, un immense savoir, honoré dans le monde entier mais méconnu des orgelètains.

Michel BREZILLON est né le 24 Juillet 1924 à Vincennes dans la proche banlieue parisienne. Issu d'une famille ayant de profondes attaches jurassiennes, il restera toute sa vie fidèle à Orgelet malgré de longs séjours hors de France. Dès son plus jeune âge c'est dans notre cité qu'il venait en vacances auprès des siens, rue des Prêtres, et s'intéressait aux travaux des champs «se cachant dans le feneau d'un paysan du quartier afin de pouvoir filer avec son copain Régis faire cuire des pommes de terre sous la cendre et fumer de la barbe de maïs en gardant les vaches», alors que sa mère se demandait où il était passé. Il ne s'attarda pas en longues études, échappant au STO durant la période d'occupation grâce à un séjour clandestin dans une ferme du centre de la France. Déjà il montrait son réalisme doublé d'humour. Ne disait-il pas à son cousin Gaston à qui il faisait découvrir Paris « Si pour te rendre quelque part en utilisant le Métro tu fais plus de deux changements de ligne c'est que tu n'es pas intelligent ».

Amené à entrer très vite dans la vie active il ne devait en fait entamer une carrière en préhistoire qu'après de longues années passées dans le monde du livre. Simple employé d'abord, il est en 1945 directeur adjoint de la librairie dite de France à Saint Mandé, puis fait un séjour de quatre années en Indochine avant de revenir en France en 1951, rapatrié sanitaire à la suite de cruelles épreuves. Il sera jusqu'en 1953 directeur de la librairie de Flandres à Paris avant d'effectuer un passage de trois ans dans l'industrie.
C'est en 1957 qu'Henri LHOTE lui propose d'être son adjoint auprès des équipes de la mission archéologique du Tassili-n'-Ajjer dans le Sahara algérien. Et là, au cours de deux campagnes de six mois, sous un climat excessif, dans des conditions de vie à la limite de l'endurance, il va avec une petite équipe de volontaires, réaliser un travail de relevé de fresques qui deviendra plus tard un sujet d'émerveillement, de méditations et d'études pour les spécialistes du monde entier. Pour preuve la restitution de l'une des plus grandes scènes rupestres jamais rencontrées «Le grand Dieu aux orantes» présentée à Paris en 1958 dans une exposition réunissant quelques trois cents fresques du Tassili. Il devait retourner pour quelques mois sur le site en 1959 où il expérimenta, pour les relevés de gravures de l'oued Djerat, la technique des empreintes au latex qui allait devenir un classique de la technologie archéologique.

En 1958 il rencontre André LEROI-GOURHAN ethnologue et préhistorien avec lequel il restera en étroite symbiose intellectuelle pendant plus de quinze ans. Sans doute sa vie aura-t-elle été marquée au plus profond par la personnalité de ce savant.
Dès lors sa carrière d'archéologue va se dérouler à une allure peu commune. D'abord sur le terrain avec les fouilles d'Arcy-sur-Cure, de l'hypogée des Moumouards et de Pincevent, durant plus de dix années entrecoupées de missions archéologiques en Grèce, Algérie, Espagne et Japon, mais aussi de chantiers de sauvetage en Bourgogne, Champagne et île de France.
Parallèlement il est, en 1962, nommé directeur adjoint du Centre de recherches préhistoriques et protohistoriques. Maître-assistant à la Sorbonne en 1966 fit est, de 1969 à 1975 chargé d'enseignement et de recherche d'art et d'archéologie à l'Université de Paris I et est reçu Docteur d'État en 1973.

Entre 1969 et 1979, il était de la direction des antiquités préhistoriques d'Île de France un service moderne et dynamique. Et en 1978 il sera nommé Inspecteur Général de l'Archéologie par le Ministre de la Culture qui ressuscitera ainsi un poste créé en 1834 pour Prosper MERIMEE.

Nommé Chevalier de la Légion d'Honneur son oeuvre sera couronnée en 1987 par le Grand Prix national de l'archéologie et le grand public retiendra sans doute de tout ce qu'il a fait la réalisation du Musée de préhistoire de Nemours.
Travailleur infatigable on lui doit un nombre important de publications dont les plus remarquables sont: « La dénomination des objets de pierre taillée» et surtout son «Dictionnaire de la Préhistoire» paru chez Larousse en 1969, plusieurs fois réédité et traduit en plusieurs langues. En 1987 il prit sa retraite à Orgelet où il devait s'éteindre le 27 Août 1993 après avoir apporté une contribution significative à l'histoire d'Orgelet et de ses habitants sans oublier la part qui fut la sienne dans les travaux de restauration et d'embellissement de l'église Notre Dame.
Mais pour mieux comprendre ce qu'était l'homme il faut se laisser guider par les témoignages de ses collègues, ses collaborateurs et ses élèves qui turent à n'en pas douter ses disciples.

« C'est dans le cadre de l'enseignement ou plus encore dans la vie en équipe sur les chantiers et les entretiens individuels que Michel BREZILLON, par sa disponibilité à l'écoute de chacun, son accueil chaleureux mêlé d'un réalisme teinté d'humour et d'un grand détachement acquis au contact d'une vie dure et périlleuse a profondément influé sur ceux qui ont eu la chance de le rencontrer, en particulier ceux qui, en France ou à l'étranger sont aujourd'hui engagés dans l'archéologie. »

«Lorsqu'au hasard de lectures, d'images ou de conversations le Tassili-n'-Ajjer se présente à mon souvenir... il s'y superpose toujours, comme en filigrane la silhouette amicale, svelte et presque émaciée de Michel BREZILLON. Mais cette silhouette j'en ai éprouvé au cours de deux campagnes de six mois l'énergie intérieure, la tranquille fermeté, la domination exemplaire de la volonté sur les contraintes corporelles. J'en ai aussi découvert la bonté et la générosité intimes, jalousement, pudiquement cachées sous un masque affable certes, mais parfois traversé d'ironies décapantes. »

« Son sens développé de l'organisation ne laissait à aucun moment intervenir le hasard qu'il s'agisse de lancer un projet ou de livrer le produit fini,»

« A Pincevent... Michel mariait avec art la contradiction pour obliger le patron (A.LEROI-GOURHAN) à étayer ses hypothèses, heureux sans doute de ces joutes qui stimulaient leur réflexion : ce qui naissait de ces confrontations quotidiennes donnait à tous l'impression de participer à la progression des interprétations.»

« A vivre ensemble quasiment 24 h sur 24 nous n'avions plus beaucoup de secrets les uns pour les autres. Ce soir là il faisait froid, nous buvions pour nous réchauffer : son chèche couleur d'argile autour du cou, un verre à la main, il racontait des histoires d'ailleurs, des amours orientales dont l'évocation venait buter sur celle, dramatique, des conflits armés qui ont englouti les Moi. Ici pour le dîner des fouilleurs qui ont pataugé toute la journée il prépare une chorba selon une recette à laquelle il ne manque pas même la pincée de sable. Et plus loin, penché devant la porte du four, le voilà surveillant une tarte aux quetsches qui lui rappelle son Jura familial. »

Voici en quelques lignes certes trop courtes un éclairage sur ce que tut notre concitoyen si humble lorsqu'il parcourait les rues d'Orgelet son sac à provisions à la main, aidé de sa canne, et faisant face sans bruit à une implacable maladie.
Tous ceux qui participèrent activement au spectacle «Si Orgelet m'était... Comté» n'oublieront pas les derniers moments de plaisir et d'amitié qu'il partagea avec eux quelques mois avant de nous quitter.

Aussi l'ASPHOR a-t-elle émit le souhait qu'un hommage public lui soit rendu, montrant au travers de causeries, de témoignages et d'images, ce que fût l'homme et l'archéologue.

G. BIDARD