Quand les vacances scolaires n'étaient pas animées pour les filles

Le soleil n'était pas toujours au rendez-vous des grandes vacances scolaires et l'on pourrait penser que les jeunes garçons devaient se morfondre pendant les longues et monotones journées pluvieuses à regarder les gouttelettes de pluie se poursuivre sur les fils électriques. Il n'en était rien : le programme des réjouissances par temps de pluie était minutieusement préparé.

Bâtiment agricole au fond de la place au vin à OrgeletChaque quartier, à cette époque, avait son centre de loisir, très souvent un bâtiment agricole. Ainsi, ceux de la place au Vin, de la rue de l'ancien collège et de la « Glacière » disposaient d'un vaste ensemble comprenant ce qu'on appelait une cave, parce qu'étaient entreposés de vastes tonneaux vides et « fenaux » dans lesquels un agriculteur local remisait son foin. La cave comprenait deux ou trois pièces, au plafond en forme de voûte blanchi à la chaux où la lumière se glissait parcimonieusement par une seule fenêtre. Les activités en ce lieu étaient variées, mais le jeu préféré, quand le chercheur y venait pour la première fois, était la cachette dans les grands fûts où l'on pouvait pénétrer en se tortillant dans une ouverture en forme de guichet de prison. Cache providentielle, elle permettait à ceux qui s'y étaient réfugiés de jubiler en entendant le camarade chercheur se lamenter de ne pas trouver ceux qu'il devait obligatoirement découvrir. Hélas ce refuge fut abandonné du jour où un facétieux adulte rabattit le couvercle de l'entrée, le ferma par un cadenas emprisonnant ainsi dans une obscurité semi-complète avec au-dessus du tonneau un minuscule trou circulaire pour respirer, ceux qui y « séjournaient » qui connurent les affres grandissantes de l'inquiétude, de la peur et de la panique.

Le « fenau » au-dessus de la cave était aussi une salle de sport improvisée. Il fallait être sportif pour atteindre les poutres qui dominaient de quelque huit mètres le tas de foin et s'élancer dans un plongeon de haut vol pour aboutir dans l'herbe sèche... en inventant bien souvent de nouvelles figures qui se terminaient parfois par un tour de rein. Et puis il fallait posséder les aptitudes d'un gymnaste et la vitesse d'un sprinter pour échapper aux coups de fouet d'une gardienne cerbère, arrivée comme un fantôme et qui hurlait et frappait parce que les garçons « treppaient » le foin.

Et les filles de cette époque, comment passaient-elles leurs grandes vacances scolaires ? Oh, la gent féminine ne participait que très rarement aux activités des garçons. Elles étaient trop fragiles croyait-on, bonnes simplement à jouer à la marelle ou à sauter à la corde. D'ailleurs les parents et les institutrices les en persuadaient. Au contact des garçons, elles pourraient se briser comme des porcelaines. Si certaines se rebellaient et se transformaient en mousquetaires ou maniaient avec adresse la fronde, on les considérait aussitôt comme des garçons manqués et c'est tout juste si certaines personnes « bien intentionnées » ne se signaient pas quand elles les croisaient.

l'école confessionnelle du couvent d'Orgelet en 1923Il faut bien avouer aussi que les garçons de l'époque n'aimaient pas avoir pour « compagnons » de jeu des filles, de peur d'en être traité lui-même et c'était la pire insulte. Alors si certaine insistait et entrait par exemple à la cave de la rue de la Glacière, on l'aiguillait vers une petite pièce où s'entassait une montagne de sciure semée de pièges, des fosses invisibles qui s'ouvraient sous les pas de la visiteuse. Les filles étaient donc contraintes de fréquenter la garderie du couvent où elles se passionnaient pour la lecture ou le tricot ou mieux, amies d'une bergère elles la retrouvaient aux prés de Gevin ou du Vellet pour participer à la surveillance du troupeau, discuter ou s'il y avait une intrépide parmi le groupe, dérober des pommes de terre et les faire cuire au feu de bois. Enfin, il ne faut pas oublier les tâches ménagères qui les retenaient à la maison la matinée. Elles faisaient là, leur apprentissage de future épouse.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 30 mars 2003