Le pain bénit de la messe du dimanche

Sortie de l'église d'Orgelet après une d'une célébration religieuseTrès nombreux sont actuellement les Orgeletains qui n'ont pas connu quelques anciennes coutumes, quelques traditions qui existaient encore pendant les années 30.

Ainsi par exemple, la coutume religieuse du pain bénit qu'évoque d'ailleurs un Echo paroissial de février 1916. Il précise d'abord l'origine de cette institution. « On appelait pain bénit un pain non consacré, mais simplement bénit à la messe paroissiale pour être distribué aux fidèles en signe de communion fraternelle ». Dans les premiers temps du christianisme, leur ferveur était telle qu'ils n'assistaient jamais à la messe sans communier. Mais ce zèle se refroidit, les moeurs se relâchèrent, on communiait moins souvent alors l'Église établit « qu'on bénirait le pain ordinaire pour être distribué à tous ceux qui n'avaient pas communié ».

Cet usage remonte au moins au IIe siècle. Par là-même qu'il est distribué indistinctement à tous, quel que soit le rang, l'emploi ou la fortune, on veut ainsi indiquer que tous les chrétiens forment une seule famille. Et puis, l'habitude s'introduisit peu à peu de faire offrir le pain bénit par chaque famille de la paroisse. Don volontaire d'abord qui deviendra obligation civile avant la Révolution de 1789.

En 1930 donc, à Orgelet, chaque famille est libre d'offrir ou non le pain bénit et le donateur du dimanche est annoncé en chaire par le prêtre de la paroisse. Refuser d'offrir le pain à bénir précise un texte du début du XXe siècle, c'est « montrer du mépris pour un usage vénérable, c'est donner un mauvais exemple, c'est déclarer qu'on se sépare, qu'on ne fait plus partie de la paroisse, c'est un manque d'éducation ou une preuve d'avarice ».

En bas à droite, le bedeau M. Grellet avec sa corbeille à pain à la sortie de la messeAinsi, dans les premières décennies du XXe siècle, le dimanche, à la grand' messe le bedeau de l'époque, M. Grellet, un vénérable personnage aux moustaches en guidon de bicyclette, après le sermon, au moment de l'offertoire, parcourait la nef de l'église portant une grande corbeille d'osier remplie de petits cubes de pain blanc. Chaque fidèle, sans faire de bruit, pour ne pas perturber l'office, pinçait délicatement un morceau de cette précieuse manne et la mâchait comme si elle avait été une ostie. Il arrivait parfois que pour fêter un événement familial, un baptême ou pour une messe de Pâques, ou moins raisonnablement comme signe de richesse, le cube de pain devenait petite tranche de brioche très appréciée.

Mais cette distribution dominicale de pain bénit rappelle d'autres souvenirs. Les jeunes garçons assis sur les petits bancs, à courte distance de l'autel, disputaient au cours de la messe, une étrange compétition. Quand passait près d'eux le bedeau, ils essayaient par quelques-unes de leurs inventions de distraire le sévère pourvoyeur pour plonger une de leurs mains dans la corbeille et retirer une poignée de cubes de pain. Le champion était celui qui en possédait le plus. Ce genre de  concours était de plus en plus difficile car M. Grellet était très méfiant et s'il apercevait malgré la rapidité, un geste « de maraude » le frémissement de sa moustache suffisait à immobiliser le bras du malandrin et à ouvrir la main pour relâcher le pain. Et le garçon devait jeûner. C'était d'autant plus dommage que, comme des pommes dérobées sont bien meilleures que celles qu'on achète, les cubes de pain pris illicitement ont bien meilleur goût.

Mais ce pain bénit qu'on avait l'autorisation de manger pendant l'office avait incité les enfants du catéchisme à faire de même avec un morceau de pain non bénit celui-ci, quand le prêtre ne s'intéressait qu'à l'interrogation d'un malheureux camarade. Hélas le brave curé Pelot surprenait parfois l'indiscipliné, alors tombait la punition : copier deux cents ou cinq cents fois - cela devait dépendre de la grosseur du pain - « Je ne dois pas manger pendant le catéchisme ».

Le coupable ne paraissait pas désolé, il savait qu'il pouvait compter sur l'esprit de solidarité de ses copains dont certains, pendant les cours de « cathé » réussissaient à copier la sempiternelle phrase punitive, deux lignes à la fois en superposant deux crayons entre leurs doigts. Solidarité bien sûr mais troc aussi « maquignonnage : échange punition rédigée contre billes et agates ! ».

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 24 mars 2001