Premiers frissons de résistance au cours complémentaire

Les élèves des classes de 3e du collège Michel Brezillon d'Orgelet vont participer une nouvelle fois au Concours de la Résistance, respectant ainsi le « devoir de mémoire ». Ne pas oublier, mais pardonner semble être la devise ; pardonner difficile peut être pour ceux qui ont vécu les événements tragiques de cette période 40-45, car ce sont toujours ceux-là qu'on évoque.

Le cours complémentaire d'Orgelet en 1944Le collège d'Orgelet qui, en ce temps là, n'était encore qu'un modeste cours complémentaire a payé un lourd tribu puisque plusieurs de ses élèves qui venaient à peine d'y achever leurs études ont été victimes des événements. Et de penser à Bernard Menouillard, Marcel Sarrand d'Orgelet, de Maurice Jaraud d'Augisey, de Fernand Foulon de Charchilla raflés par les troupes de répression le 11 juillet 1944 qui ne sont pas revenus des camps de concentration, de Claude Broutechoux qui occupa un poste périlleux dans la Résistance et qui, démasqué sera déporté, emportant avec lui son secret.

Il ne faut pas oublier non plus l'instituteur David, pris lui aussi ce sinistre 11 juillet et Maurice Choquet qui venait de réussir le concours d'entrée à l'École Normale d'instituteurs mais qui ne rejoindra ses camarades de promotion qu'après un long et terrible séjour à Neuengamme. Ainsi on évoque presque exclusivement des tragédies et en filigrane, on se remémore les visages de ceux qui n'ont pas répondu au souhait d'Aragon de revenir car « il y aura des fleurs tant que vous en voudrez ».

Et dire que les collégiens pendant leur scolarité n'ont jamais imaginé le sort qui, pourrait leur être réservé. Pourtant commençait à naître chez certains un esprit de révolte, influencé peut être par les opinions de leurs parents, favorables ou non au régime vichyssois et à la collaboration. Il firent front alors contre les tracasseries du gouvernement et connurent des moments de bonheur, d'exaltation. Premier bonheur pour cette première révolte et ce refus d'extirper et de brûler certains livres de la bibliothèque scolaire mis à l'index par le ministre de l'Éducation nationale de l'époque Abel Bonnard.

Jamais n'ont été aussi lus, relus et appréciés les romans d'Emile Zola. Et puis il y eut aussi la réaction de certains élèves lors des manifestations officielles en particulier la fête de Jeanne d'Arc car la célébration de l'armistice du 11 novembre devant le monument aux morts était interdite. Tous les débuts de mois, dans la cour de l'école, on procédait, comme à l'armée, au lever des couleurs et tous les élèves réunis au grincement d'un violon lui aussi révolté, devaient entonner le nouveau Te Deum : « Maréchal nous voilà ». Quelle cacophonie I Ceux qui croyaient au « Sauveur de la France » chantaient fort et juste, ceux qui n'y croyaient pas chantaient mou et faux, d'autres se taisaient. Les professeurs feignaient de ne pas s'en rendre compte, mais quand la manifestation avait lieu devant la mairie, le général Karcher, président de la délégation spéciale et ardent collaborateur vilipendait le manque d'énergie de « ces enfants du maréchal ».

Mais la manifestation la plus évidente d'une critique du gouvernement dictatorial» vichyssois, donc d'un acte de résistance fut ce premier prix de diction remporté à Lons-le-Saunier par six élèves de 3e du collège, trois filles et trois garçons. Etait-ce voulu par le professeur ? Probablement. Le piège fut habilement tendu avec le choix de la poésie « Ceux qui vivent » de Victor Hugo, un terrible pamphlet contre la dictature de Napoléon III et ceux qui le soutenaient. Le texte terminé, crépitèrent les applaudissements, fusèrent de tous ces messieurs les félicitations...
« Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent.
Et ces deux derniers vers :
Et j'aimerais mieux être ô fourmi des cités
Un arbre dans les bois qu'une âme en cohues ».
Oh ! Cette jubilation, non pas d'avoir récolté le premier prix mais parce que les suppôts de Vichy n'y avaient rien compris.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 13 férvrier 2000