Quand se faire peur était excitant

Noél approche. Le bonhomme à barbe blanche et houppelande rouge récompensera les enfants sages, obéissants et bons élèves. Il agissait de même dans les années 1930, mais à cette époque on parlait aussi du père fouettard, qui punissait les élèves paresseux et les méchants garnements et même du loup-garou qui venait les dévorer. La peur figeait alors les gamins orgeletains qui imaginaient comme tourmenteur un habitant ventripotent, renfrogné, peu alerte, surnommé le « Tac-nègre » (pourquoi ?) Dès qu'ils l'apercevaient, les enfants fuyaient, pris de panique. Les plus grands sachant qu'il ne pourrait jamais les atteindre l'agaçaient comme des chiens sur le gibier au moment de la curée, si bien que finalement le brave homme, excédé, frappait les malandrins de sa canne.

La bête des GargaillesParler de loup-garou, revenait à évoquer la « Bête féroce des Gargailles », qui, au début du XIXe siècle a causé des ravages dans les communes de Dompierre, Alieze, Marnezia et la Garde-Dieu. Il existe une relation officielle des faits signée par le commissaire de police de Lons qui avec précision énonce les victimes nombreuses du monstre, les actes courageux individuels mais vains pour l'abattre et enfin l'hallali avec cent trente chasseurs et deux cents traqueurs mobilisés. Il faut bien reconnaître aussi que bien avant le XIXe siècle on aimait fantasmer à partir d'un événement banal pour engendrer la peur.

Ainsi, cette rue du Noyer Daru, nom du propriétaire, évoque un pervers fantôme qui sortait de l'arbre la nuit tombée pour importuner et effrayer les damoiselles du château féodal qui rêvaient de preux chevaliers. Doué de pouvoirs surnaturels, il s'élevait jusqu'à elles, et on affirmait qu'il était Louis de Chalon II, condamné à errer, être immatériel, pour avoir rendu malheureuse son épouse Marie de la Tremouille et enlevée en Bourgogne la belle Aragonaise dont il était épris.

Bien plus tard, dans les années 30, réapparaîtront les fantôrnes. Ils hantaient la nuit les jardins du Mont Orgier, cachés dans les encoignures de portes. En bande, les garnements courageux, voire téméraires, partaient en expédition de découverte et de répression... et soudain quand subitement surgissait le spectre, recouvert de son drap blanc, l'armée des héros devenue armée de Bourbaki dégringolait à toutes jambes, le coeur battant la chamade le chemin tandis que le fantôme réhumanisé riait de la bonne farce qu'il venait de jouer.

Se faire peur était à cette époque une autosatisfaction. L'occasion était donnée aux jeunes orgeletains, par certains films projetés dans la salle du couvent, le dimanche après les vêpres, par le vicaire. Le film préféré était Belphegore, le fantôme du Louvre. Bien sûr, les garçons fanfaronnaient quant il apparaissait sur l'écran, mais ils suaient de peur dans l'obscurité ; les filles aussi hypocrites se voilaient la face en écartant les doigts, mais tous les soirs, dans leur chambre, avant de s'endormir, inspectaient les moindres recoins de la pièce pour déloger le fantôme et interprétaient tout bruit suspect et qui aurait pu révéler une présence. Leur nuit était peuplée de cauchemars, mais tous attendaient avec impatience le prochain épisode du film.

A cette époque d'ailleurs l'information était quasiment nulle. Quand on avait la chance par la rumeur d'être au courant de faits graves passés dans les proches environs d'Orgelet, les adultes se rassasiaient des renseignements colportés par ceux qui savent toujours tout. On se gargarisait des détails, ne retenant finalement que ceux qui engendraient une sainte frayeur. Ainsi existe-t-il encore à proximité d'Orgelet l'hôtel du crime. Chacun, pendant de longues années, aurait bien voulu savoir de quel crime il s'agissait... mais en attendant le soir, les portes des appartements étaient verrouillées, les fenêtres fermées, les chiens de garde détachés. En fait, l'histoire était rocambolesque. Un homme qui désirait occire les « hôteliers » pour les dévaliser s'était fait, paraît il, enfermer dans une grande malle avec mission pour un motif quelconque de la déposer à l'hôtel. Les aboiements du chien autour de cette malle intriguèrent patrons et clients qui l'ouvrant, trouvèrent l'homme « bardé d'armes » qui ne put s'en servir et fut livré aux gendarmes. C'est la version des faits la plus souvent donnée qui satisfait à demi les gens de notre époque.

Plus grave, car il y eut crime à Montjouvent à la fin des années 30. Un brave homme, M. Gindre, surnommé Rantanplan, unijambiste, très connu à Orgelet où il se rendait souvent pour ses emplettes, avait été retrouvé mort, probablement assommé, dans son étable. Gros émoi à Orgelet en même temps qu'une excitation, une jubilation ; on allait savoir... mais en attendant la propre maison d'habitation se transformait en fortin. La « Criminelle » est venue... L'homme était riche, paraît-il... L'enquête piétina au grand désespoir des Orgeletains avides de révélation... Un jour, sous le foin, au fond du « fenau » furent découvert des coffres-forts... Les enquêteurs les emportèrent gardant le secret sur leur contenu ; « des pièces d'or » susurrait la rumeur... et on ne parla plus de l'assassinat du brave Rantanplan. Pendant ces deux événements, les Orgeletains avaient eu leur ration de suspense, de jubilation et de peur. Ils avaient pu jouer au détective... donc ils étaient très satisfaits.

André Jeannin
Article paru le 19 décembre 1999