Des enfants à l'église en 1930

Intérieur de l'église d'OrgeletDans les années 1930, existaient à l'église d'Orgelet, qui n'avait pas encore été baptisée « Notre-Dame de Vaucluse », un mobilier, des tableaux, des objets devenus désuets de nos jours et réformés, des rites et pratiques abandonnés ou modifiés, qui, à cette époque, avaient étonné, inquiété parfois, intéressé souvent les jeunes Orgeletains qui assistaient aux offices ou fréquentaient les cours de catéchisme.Qu'est devenue la double rangée de petits bancs en bois très proches de l'autel, sur lesquels s'asseyaient les filles d'un côté, les garçons de l'autre pendant la messe et les vêpres ? Sous les feux croisés des regards du prêtre, des soeurs franciscaines placés juste derrière eux et de la foule des fidèles assis sur les grands bancs dans la nef, ils n'osaient pas se retourner pour tâcher d'apercevoir, tout en haut, sur la galerie, près de l'orgue alimenté en air par un soufflet pressé du pied, l'organiste accompagner en musique la chorale femme du Sacré-Coeur - sopranos et altis - qui déchirait le silence par des Kyrie Eleison, Sanctus et Agnus Dei...

Ils devaient se résoudre alors, de regarder dans les stalles, devant eux, quelques croyants endimanchés reprendre d'une voix forte et grave les mêmes expressions latines auxquelles ils ne comprenaient rien. Pendant ce temps, les minutes s'écoulaient, mais c'était long une messe, alors leurs regards s'égaraient sur les flammes semi-moribondes des grands cierges figés sur l'autel qu'avait allumés, au début de l'office, le sacristain et qu'il éteindrait à la fin de la messe avec un drôle d'appareil, une espèce d'entonnoir renversé planté au bout d'une perche.

Sortie de messe à Orgelet. En bas à droite, le bedeau avec sa corbeille à painCependant au cours de cette messe, les garçons, pas les filles, trop timides, connaissaient quelques minutes exaltantes, quand apparaissait soudain, sortant silencieusement de la sacristie, le bedeau portant une corbeille remplie à ras bords de petits cubes de pain comme ceux qu'on plonge dans une délicieuse fondue. Ce pain était offert à chaque messe du dimanche, à tour de rôle, par les familles orgeletaines bien pensantes. Bénit, il avait une valeur de symbole et on l'offrait avec parcimonie aux fidèles, Les garçons ne concevaient pas ce rationnement, aussi dès l'apparition du pourvoyeur de cette manne, ils cherchaient comment disperser son attention pour forcer sur le ravitaillement. C'était entre eux une véritable compétition et évidemment le pain dérobé de cette façon avait un goût de brioche. Toujours assis sur ces petits bancs, pendant les cours de catéchisme, les jeunes Orgeletains paraissaient très attentifs. Pourtant certains loustics, cachés par les dos de leurs camarades, écrivaient sur des feuilles blanches trois lignes à la fois d'un texte répétitif de punition en superposant entre le pouce, l'index et le majeur trois crayons. Les cent lignes terminées, ils les vendraient pour quelques sous au camarade qui avait été puni par le prêtre. Et « ça marchait à tous les coups ».

Que sont devenus aussi les confessionnaux, désertés depuis quelques décennies et qui, pendant longtemps, ont déserté les chapelles les plus obscures ? Leurs carcasses ont inquiété même ces jeunes garçons à l'esprit mercantile qui n'en menaient pas large quand ils devaient aller à confesse. Ce meuble comprenait trois compartiments. Celui du centre réservé au confesseur, par une porte refermée l'isolait de ceux qui allaient avouer leurs fautes. Bien installé sur son siège, le prêtre actionnait un petit volet-glissière qui libérait une ouverture carrée grillagée. Une pâle lueur perçait la pénombre des compartiments ouverts sur la chapelle ; alors le pénitent à genoux sur une banquette inconfortable apercevait soudain, en filigrane, le visage impassible du confesseur. A ce moment précis commençait le calvaire des gamins qui balbutiaient les péchés commis, dénombrés pendant l'attente anxieuse dans les grands bancs, en tâchant de se rappeler les articles impératifs des Commandements de Dieu et de l'Église, espèce d'encyclopédie du savoir-vivre catholique... Alors, ils avouaient avoir menti 5 fois, s'être mis en colère 6 fois, avoir manqué la messe deux fois... et la litanie continuait, interrompue heureusement par les questions salvatrices du juge derrière sa grille qui annoncerait bientôt la sentence « cinq Notre Père et cinq Je vous salue Marie » à réciter pour obtenir la rémission de ces fautes. Et pendant qu'ils les récitaient, soulagés, les enfants se demandaient si les profondes cicatrices laissées sur les dossiers des grands bancs par les initiales sculptées d'anonymes fidèles étaient l'ceuvre de personnes qui s'ennuyaient aux offices ou de mécontents qui se vengeaient d'une sentence punitive à confesse trop sévère.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 28 novembre 1999