Dans les années 1930, le Père Noël n'était guère généreux

Le dernier Noël du siècle est bien différent des Noëls d'antan. Il manque bien souvent d'abord la neige, essentielle pour le décor hivernal, qui tourbillonnait en gros flocons agacés par une bise froide et violente ; il manque le carillon joyeux des cloches qui invitent à la messe de minuit dans une église de lumière où les voûtes répercutent les tonalités latines et où éclate soudain, comme un Te Deum, le Minuit chrétien que chante d'une voix grave un soliste ; il y manque ce supplice délicieux de la tentation de déguster une praline à la crème ou une papillote au sucre avant la communion car à cette époque il fallait être à jeun ; il y manque dans la chapelle voûtée, avec son arceau de papier gaufré et son armature de lierre, l'immense crèche avec son enfant Jésus rayonnant, ses Rois mages aux robes colorées, pétrifiés dans leur adoration, l'âne et le boeuf et leur sempiternel mutisme.

Il y manque surtout toutes les boutiques orgeletaines de 1930 depuis la rue du Faubourg jusqu'à celles de la rue de la République qui fêtaient Noël modestement en plaçant dans leurs vitrines grandes comme une cage à oiseaux ornées parfois de branches de sapins et de quelques guirlandes multicolores, quelque chose qui rappelait Noël : deux ou trois jouets très simples, des bûches de Noël tronçonnées, plusieurs livres des contes de Perrault, un panier d'oranges et des papillotes dispersées. Et le jeune scolaire qui rêvait du père Noël à qui il avait écrit, regardait, extasié, les jouets exposés, imaginant de sensationnels jeudis passés avec eux.

Bien sûr la vitrine du pâtissier lui mettait l'eau à la bouche mais sans exagération, car il savait que quelques jours plus tard, il aurait droit à plusieurs papillotes avec le multicolore papier avec lequel il confectionnerait de petits plumeaux échevelés décoratifs. Il était sûr aussi de se régaler avec les petits rectangles de pâte au coing qu'il avait vu fabriquer par ses parents ou avec la tranche de bûche au chocolat ou à la confiture, fabrication maison, dont il avait apprécié l'alléchante saveur en reléchant la casserole où avait fondu le chocolat.

Les familles, riches en enfants à cette époque, ne pouvaient se permettre d'acheter des jouets à gogo, très chers, exposés dans les vitrines ou présentés dans des catalogues. Mais tous les gamins et gamines trouveraient le matin de Noël, à leur lever, dans leurs sabots placés sous le conduit de la cheminée, avec une orange et trois papillotes, un jouet, un seul, pas souvent celui qu'ils avaient commandé. Il avait été réalisé par des papas bricoleurs : une petite charrette ou un cheval en bois, des animaux en contre-plaqué, d'esthétiques mini meubles, ou en secret par des mamans qui excellaient dans la confection de poupées bourrées de vieux chiffons.

Parfois les enfants moins nombreux de familles plus aisées recevaient une poupée en celluloïd, un ours en peluche, un mécano, un jeu de construction ou un nécessaire de couture... Alors pendant quelque temps, les garçonnets, ingénieurs précoces, vissaient les pièces du mécano pour dresser une grue et les fillettes en future bonne mère cajolaient leur poupée jusqu'à ce que ces jouets, souvent vite délaissés pour d'autres plus âgés mais plus familiers, deviennent les victimes des colères capricieuses et que l'ourson gise sans bras, la poupée décapitée, la grue inutilisable.

Jeu le cueilleur de pommesOn se consolait alors en allant jouer chez un copain du quartier qui avait eu la chance de recevoir, pour cadeau, un jeu de société qui ne demandait aucun effort particulier de compréhension, ce fut le cas d'un cueilleur de pommes. Il s'agissait par un ressort de donner de l'élan à des billes qui descendaient sur des rails en spirale avant de tomber dans une petite dépression carrée riche en alvéoles chiffrées. Le vainqueur était celui qui, avec cinq billes, avait totalisé le plus de points... On jouait des heures, jusqu'à ce que survienne le casse-pieds qui demandait à chaque manche à chaque concurrent de calculer mentalement le total de ses points. Le cueilleur de pommes devenu instrument éducatif perdait alors toute sa valeur et il était délaissé par les écoliers en vacances de Noël.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 26 décembre 1999