La gare au temps de sa splendeur

La gare d'OrgeletL'inauguration de la ligne de chemin de fer Lons-Orgelet a donc eu lieu à La Bifurcation le 23 octobre 1898, or, cinq ans avant, le conseil municipal avait évoqué la construc­tion d'une gare. C'est au cours d'une réunion en date du 12 mars 1893 que le maire Wishoffe donne lecture d'une pétition signée de 338 habitants d'Orgelet «tous pour ain­si dire chefs de famille» réclamant l'implantation de la gare «au Pré­Catelin».
Le conseil municipal considé­rant que les motifs invoqués cor­respondent à la grande majorité du pays d'Orgelet et d'un grand nombre de communes du canton approuve ce choix par dix voix contre quatre et une abstention. Ont voté pour Wishoffe, maire, Grandclément adjoint, Vaillant, Clé­ment, Gauthier, Bayet, Gros, Buffet, Chavet, Sorlin Prosper ; contre : Bouquerod, Vernier, Prost, Sorlin Louis, s'est abstenu : Remond.
Il faudra attendre cependant une délibération du 22 janvier 1894 pour que soit acceptée la proposi­tion du maire de céder le terrain aux divers usages de la future gare au prix de 100 francs la mesure (6 ares) «quoique le terrain soit d'une valeur réelle de plus de 200 francs...». Dix voix pour, les mêmes que précé­demment, 4 conseillers se sont abs­tenus, souhaitant que la commune cède gratuitement le terrain... Un seul «irréductible» Vernier qui pour­tant sera maire d'Orgelet du 10 avril 1896 au 15 mai 1904.
La gare d'OrgeletLa construction de la gare ne posera pas de problème ; on n'en trouve aucune trace dans les déli­bérations municipales. Achevée elle se présente comme un pim­pant bâtiment bien proportionné à la façade blanche réhaussée de quelques pierres rectangulaires de soubassement ou d'angle marron, ajourée sur la façade est, à l'étage de quatre fenêtres étroites aux vo­lets pleins et au rez-de-chaussée de quatre portes vitrées aux deux tiers.
Elles s'ouvrent sur des pièces carrelées, exigues dont l'une qui sert de salle d'attente, porte scellée aux murs des banquettes en bois et au fond, à gauche, une espèce de grande cage avec guichet, mi éclai­ré par les vitres. C'est là le royau­me du chef de gare le père Lapre­vote en uniforme et à casquette à liséré qui distribue les billets, rend la monnaie, impassible, muet, avec des gestes de robot.
Pourquoi parlerait-il d'ailleurs; des affiches placardées contre les murs renseignent sur les horaires et les prix des voyageurs qui d'ailleurs somnolent parce qu'ils se sont levés trop tôt pour prendre le train et qui se réveilleront aux ho­quets réitérés du carillon suspen­du au mur. Démolition de la gare d'Orgelet en 1982Derrière la salle d'at­tente, d'autres pièces à débarras celles-ci, encombrées, pêle-mêle de grands cartons qu'on a pesés sur la bascule en faisant glisser sur une tige graduée un curseur cou­leur d'or. Un quai surélevé permet d'accéder à une espèce de vaste hangar fermé à l'ouest et à l'est sur quatre vastes ouvertures par de larges volets en tôle ondulée qui s'élèvent ou dégringolent avec un bruit de tonnerre. C'est là le refu­ge des pièces lourdes, encom­brantes de tout ce que n'altère pas le temps. A l'étage atteint par un long escalier pentu aux marches en pierre blanches et noires bordé d'une barrière métallique, logent le chef de gare et sa famille.
Appartement intime d'un fonc­tionnaire consciencieux et de son épouse qui passe sa journée à tra­quer le bruit, les odeurs de fumée et les escarbilles de charbon qui noircissent les tapisseries. Sous l'escalier, un WC, pudique à la Turque, très fréquenté dans le quart d'heure qui précède le départ du train.
La gare a disparu de l'horizon orgeletain. Le 21 avril 1982 le conseil municipal décidait sa des­truction.
Dans une société de chômeurs il n'y a plus de place pour les oisifs, or le bâtiment n'accueillait ni train, ni car depuis le 9 mars 1946. Et en quelques bondissements de bull­dozer, le bâtiment qui avait été la cause de tant de discussions ne fut plus que ruines... et pour empê­cher tout pélerinage on a débapti­sé sa place devenue place du Co­lonel-Varroz ou avenue Lacuzon on ne sait pas bien où est la limite.

André Jeannin, article parue dans Le Progrès le 22/12/1996