Ah ! ce mont Orgier de jadis !

Orgelet et le Mont OrgierOrgelet, depuis une quarantaine d'années, s'est enrichi de quartiers périphériques qui entourent le fer à cheval que dessinait la ville moyenageuse que dominait le mont Orgier chevauché par son château féodal. Bien sûr, on a baptisé toutes les nouvelles rues et de nombreux Orgeletains seraient bien ennuyés de dire où sont situées par exemple les rues Lamartine, Marie-Candide-Buffet ou du Motard-à-Goujon. Autrefois, toutes les rues et ruelles étaient connues et même les petits chemins qui zébraient le mont Orgier de leurs estafilades, de même les lieux-dits, originaux rendez-vous des écoliers les jours de vacances et des promeneurs en quête de randonnée...

Le chemin des Vipères était particulièrement renommé. Il débutait au pied de la colline et rejoignait celui des Perrières et par lui la route de Lons. C'était une sente caillouteuse que brûlait le soleil et qu'adoraient pour cela reptiles, mais comprimée entre les murs de pierres sèches des jardins en terasse cultivés, jalousement fermés par une solide porte à énorme serrure. La clé était si lourde que le propriétaire la dissimulait derrière une pierre mobile du mur. Et les galopins s'évertuaient à la découvrir et à l'intervertir avec la clé d'un autre jardin, ce qui provoquait l'explosion de colère du jardinier.

Jardin en friche sous le Mont OrgierLes garnements d'aujourd'hui ne pourraient plus se divertir de cette façon, la plupart des portes amputées de leurs gonds baillent constamment sur des jardins désolés où l'herbe et les ronces ont supplanté les légumes, les fleurs et les fruits, des fraises surtout plus écarlates qu'ailleurs sur ces terrains bien exposés. Pas étonnant alors qu'elles s'exposent à la gourmandise des jeunes garçons, qui pour les atteindre empruntaient un sentier plus haut à peine visible entre les buissons de poires à bon Dieu que croquaient les merles et les buis touffus sous lesquels se cachaient les mousserons. Qu'elles étaient délicieuses ces fraises maraudées que ne pourraient plus atteindre sans être vus les gamins d'aujourd'hui, car la sente disparaît sous l'entrelac des ronces.

Côte à Robert, banc des Cordeliers, colline du château  et ses ruinesD'ailleurs, on ne connait plus le mont Orgier d'autrefois. La « côte à Robert » avec son imposante corniche qui plongeait dans des bijoux de jardins en terrasse, avec le « banc des Cordeliers ou des Menuisiers » dissimulé par une forteresse de buis, rendez-vous des gamins intrépides et des amoureux de la lecture était un belvédère merveilleux. On avait une vue superbe sur la ville, sur la colline bosselée du château qu'on escaladait facilement pour aboutir aux deux pans de mur du vieux bastion féodal, sur une autre corniche, en face, percée d'une profonde fissure dans laquelle se glissaient les téméraires qui débouchaient sur une plateforme herbeuse, étroite, qui surplombait le vide et permettait de tester le goût du risque.

Jardin en friche sous les ruines du château d'OrgeletPourquoi s'attarderait-on sur la côte à Robert de nos jours ? Les jardins en bas sont des friches ; les murs qui les entourent s'écroulent l'un après l'autre ; les derniers vestiges du château ont disparu et sa colline est informe sous sa couverture de résineux austères, d'arbustes anarchiques et herbes des savanes. Cependant, la sente, jadis le chemin des écoliers s'enroule toujours, quasi invisible autour de la colline. Elle rejoint sous les deux tilleuls séculaires le chemin de la Potière, qui aboutissait à proximité du magasin de la Petite Elise, celle qui avait le monopole des caramels à « deux pour un sou ».

Le mont Orgier n'est plus le mont Orgier d'autrefois, celui des jeux, celui des promenades, celui des amoureux. Et c'est une chance d'y trouver encore une oasis au milieu du désert, un endroit soigné et esthétique, où l'on « est bien » annonce un petit panneau triangulaire, avec une espèce de jardin à la Le Notre, avec ses allées de buis taillé qui, comme à Versailles conduisent à un pavillon, mais ici très simple, en planches avec un toit en tôle, mais avec des rideaux aux fenêtres.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 26 février 1995