Quelques arrêts dans les magasins à friandises

Autrefois dans les années 1930, quand les parents octroyaient généreusement à leurs enfants une pièce de 50 centimes (on disait 10 sous) parce qu'ils avaient apporté un « bon » cahier mensuel, se posait alors le problème de la convertir le mieux possible en friandises ; ils avaient le choix, les magasins qui en vendaient étaient nombreux.

Ils pouvaient entrer chez la Marguerite Sattonnay, rue du Faubourg, une vieille demoiselle peu diserte, mais maniaquement ordonnée. Les bonbons étaient présentés comme des bijoux chez l'orfèvre, les plus tentants et les plus chers, évidemment étaient les mieux exposés. Place au Vin, le pâtissier-confiseur tentait tous les gourmands, mais la mode à l'époque n'était pas au paquet de bonbons et puis d'excellente qualité, ils étaient chers. Les écoliers n'y faisaient halte que les jours de foire pour acheter 100 grammes d'acidulés, sur le « banc » placé devant le magasin.

A peine plus loin, rue du Commerce, se dissimulait dans un renfoncement, le magasin de la Blanche Poux, fréquenté par les enfants surtout le 13 juillet et pour une raison peu avouable - mais que celui qui ne s'est jamais laissé tenter leur lance la première pierre. Cette demoiselle était la seule à vendre des pétards peut-être parce qu'elle n'entendait pas leur détonation, étant atteinte de surdité. Alors cinq garnements entraient sans faire de bruit, trois subtilisaient des pétards ressortaient et les deux autres actionnaient follement la sonnette pour que vienne la marchande afin de faire quelques parcimonieux achats.

A deux pas, juste à l'angle, une porte sironnée, aux vitres tremblotantes s'ouvrait sur une salle obscure garnie d'étagères avec rayonnages et un comptoir. C'était le domaine de la Marie Sattonnay, une très vieille dame, au moins octogénaire dont la vue était très faible. A côté des rubans, des dentelles, des pelotes de laine, s'égaraient quelques boites de friandises, presqu'aussi vielles que la propriétaire, que les rusés garçons n'allaient acheter que pour écouler les pièces de bronze Victorio qui n'avaient plus cours ce qu'ignorait la marchande.

Dix mètres à parcourir et on était chez la Julie Rodet. Une boutique grande comme deux cabines téléphoniques, où rien n'était à portée de la main sur des étagères derrière un comptoir qui barrait la pièce... et les bonbons dans de grands bocaux inclinés. Disposition pas intéressante pour les chenapans qui ne venaient ici que pour acheter des petits bonbons carrés, en réglisse délicieux.

Rue de l'Eglise, tous les enfants s'arrêtaient chez la Clovis Jeannin. Principale marchande de fruits et légumes, elle était aussi celle qui avait la plus grande variété de bonbons : des fraises qui déteignaient leur rouge chimique sur les lèvres, les réglisses de toutes formes, les "zans" qui endeuillaient les dents, les gros caramels avec à l'intérieur la photo des coureurs du Tour de France. Difficile de faire son choix tant la variété était grande !

Rue de la République : à droite au milieu, le magasin de la Charlotte, plus bas à gauche celui de l'Alice et au niveau de l'auto, celui de la petite EliseSur le chemin de l'école, première halte chez la Charlotte Janod, respectable demoiselle qui se lance à l'ascension, d'infinissables escaliers pour atteindre, du bourg de Merlia, son magasin rue de la République. Toujours habillée de noir, affublée d'un sempiternel châle à franges, austère, elle surgit essoufflée. Les enfants, bien sages, l'ont attendue sans « marauder » tant Mlle Charlotte en impose...

A peine plus bas, le magasin de l'Alice Laroche attire le regard par l'aspect vieillot de sa devanture et le capharnaum qui règne à l'intérieur, si bien que les « gourmandises » sont disposées dans tous les azimuts... Là, pas question de « piquer » le moindre réglisse car l'Alice a un don de prémonition et devine le client avant qu'il entre dans le magasin.

Dernier arrêt chez la petite Elise, au début de la Grande Rue. Vieille dame au visage ridé comme une pomme de reinette, espèce de naine sympathique qui montait sur un tabouret pour être au niveau de sa banque, elle avait le monopole orgeletain des caramels à « deux pour un sou », aussi récoltait-elle la dernière pièce de l'écolier orgeletain. Toutes ces marchandises ont disparu comme leurs boutiques... mais on conserve encore l'arôme et la saveur des réglisses, des guimauves et des caramels

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 7 février 1993