Premier réveillon des jeunes après-guerre

Pendant la guerre 1939-45, les « 18 à 25 ans » furent privés de ces repas de fête et de bals ; c'était l'époque des restrictions, du couvre-feu, et toute réunion se faisait dans la clandestinité comme ces soirées dansantes qui avaient lieu, en grand secret dans le local de la fromagerie de Plaisia... Sitôt que cessa ce temps de la contrainte, les jeunes décidèrent de renouer avec la tradition du réveillon. Il fallait d'abord trouver un refuge chauffé.

A cette époque les hivers étaient plus rigoureux qu'aujourd'hui et les salles de foyer très rares... Heureusement le four du pâtissier qui fleurait bon l'odeur du pain, les deux pièces de l'enseignant isolées tout en haut du bâtiment de l'école désertée pendant les vacances, la cave voûtée de la rue de l'Ancien-Collège où ronflait un énorme fourneau à sciure accueillaient les réveillonneurs. Le domicile trouvé, commençaient les corvées d'installation et d'organisation de récupération. Chacun devenait le chaînon indispensable.

Ainsi, un couple profitant d'une occasion - il y avait peu d'autos - descendait à la foire de Lons où, sur la place de la Chevalerie, officiait le jongleur-casseur d'assiettes qui préférait faire des briques plutôt que de vendre cher des services dépareillés ou avec défauts. Les deux jeunes achetaient alors pour un prix dérisoire une quantité phénoménale de vaisselles de toutes sortes qui duraient le temps d'un réveillon, car bien souvent, tard dans la nuit, les assiettes devenaient des soucoupes volantes.

Le plus difficile restait à faire : composer le menu. Si l'on n'était plus au temps des restrictions, tout n'était pas revenu en abondance. Chacun se débrouillait seul, où l'on partait en « commando » à la campagne pour acquérir des produits du terroir. Sollicités maintes et maintes fois, les commerçants et les cultivateurs très sympathiques capitulaient et s'amoncelaient le pain, le jambon, les saucissons, les poulets, les lapins, les fromages, les desserts variés et parfois quelques douzaines d'huîtres et d'escargots... et du vin en bonbonne, octroyé généreusement par le pourvoyeur ami des jeunes : Bébert Richard.

Parmi les groupes, il y avait toujours quelqu'un qui avait des talents en cuisine. Et puis après avoir mangé pendant quatre ans des rutabagas, des topinambours, de la choucroute au chlore, du pain à la farine de marron d'Inde, les jeunes n'étaient plus difficiles. Les fumeurs avaient fait des réserves ou acheté quelques paquets d'américaines et bientôt la pièce était voilée par un nuage bleuâtre.

Frustrés de réveillons, les jeunes se défoulaient, la pièce devenait piste de danse où un électrophone hurlait des airs à la mode qu'on n'entendait plus quand arrivait, en grand tintamarre, un autre groupe qui réveillonnait ailleurs. C'était, bien sûr l'heure des voeux !

Et puis venait le départ à la salle de la Grenette où se tenait le bal. Tous n'y parvenaient pas. Comme des papillons, certains étaient attirés par la lumière de rez de chaussée où l'on trinquait à la bonne année ; d'autres s'étaient dévoués pour masser la patineuse sur glace maladroite qui s'était retrouvée au fond de la fontaine à l'eau glacée. Le « Hollidays on ice » était devenu un spectacle cabarret avec strip-tease bien aussi intéressant !

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 2 janvier 1993