Quand Orgelet était la capitale française de la bobine

Tournerie à MerlueLa vaste usine qui vient de s'implanter à Dompierre avec ses machines automatisées fait penser soudain à l'Orgelet d'il y a quelques décennies, capitale française de la bobine avec une production de 50 000 articles par jour.

Et pourtant, la tournerie est absente des activités de la ville pendant tout le XVIIIe siècle probablement à cause du manque de forêts. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que s'installèrent, au bord de la Valouse, les premières tourneries. Quelque trente ans plus tard, s'animeront dans les mêmes bâtiments, les premiers tours actionnés par la force hydraulique prodiguée par d'immenses roues à aube. Tout un système d'arbres, de poulies, de transmissions, permettront de créer et d'accélérer un mouvement suffisant pour travailler le bois.

Tourneur à OrgeletAlors les Orgeletains loueront dans ces bâtiments un ou plusieurs tours sur lesquels ils façonneront les premiers objets en bois, bois que leur livraient sur place les exploitants forestiers des villages proches... Et puis, certains décidèrent d'installer chez eux, un atelier. Point de force hydraulique, pas encore d'électricité : on utilisa alors le tour à pied, genre de machine à coudre et on fabriquait des fume-cigarettes, de petites bobines appelées « boutons »...

Tourneur à OrgeletPuis vint en 1912, l'électricité. Les investissements nécessaires à l'installation des moteurs des nouvelles machines n'étaient guère possibles pour l'artisan local, aussi ce n'est qu'en 1922 que va éclore toute une profusion de tourneries artisanales familiales spécialisées dans la fabrication des « bibis ».

Nouvel essor après l'apparition de la rotative Il n'y eut alors pas un quartier, en bas ou en haut des pièces d'habitation où l'on n'entendit ronfler cette machine, siffler la perceuse, hurler la scie, se plaindre les ébauchons de charme, de hêtre, de frène torturés pour devenir des quilles, « des moines », des toupies...

Usine Mouret à Orgelet dans les années 1930Pas de bobine encore qui n'apparaîtra qu'en 1932 dans les premières usines à la périphérie de la ville ou dans les bâtiments vides des anciennes tanneries. Ce sera alors l'ère de la bobine de toutes dimensions qui nécessitera la construction d'usines avec une augmentation rapide du nombre des ouvriers, des salaires horaires, des heures de travail. Fabrication de bobines dans les établissements MouretHélas, cette période des « vaches grasses » ne dépassera pas les années 1960. La concurrence vint d'abord de la Finlande avec des bobines d'un prix inférieur et puis surtout du plastique qui supplanta le bois. Agonisa alors puis disparut le petit artisanat local. Seules survécurent les usines mais qui, pour subsister, durent baisser les prix de leur production, installer une ou deux presses à plastique, ou se spécialiser dans un autre genre (tourets grandes dimensions par exemple).

Ainsi, après la tannerie disparue en 1945, la tournerie a connu la décadence... heureusement que d'autres industries sont nées pour utiliser la main d'oeuvre locale.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 3 novembre 1991