Être enfant de choeur dans les années 1930
En mai 1935, le bulletin paroissial publie un hymne aux « Enfants de chœur » : neuf strophes de quatre alexandrins, chacune chantant les louanges de « cet humble lévite qui tous les matins et le dimanche... ombre du prêtre heureux mortel en robe blanche, en aube blanche monte les marches de l'autel ». Ont-ils été tous enfants de choeur les petits Orgeletains de cette époque et plus particulièrement, ceux inscrits dans ce même bulletin qui ont obtenu les mentions très bien ou bien à l'examen de catéchisme accordées par les examinateurs, les curés de Nogna, Dompierre et Rothonay ? Probablement car c'est à l'âge du passage de cet examen que l'on « sert la messe » comme on disait à cette époque. Cette « fonction » demandait un apprentissage ; il fallait absolument acquérir un savoir-faire, aussi le prêtre préférait choisir que ceux qui apprendraient vite et dont la famille bien souvent catholique pratiquante accepterait pour l'enfant les contraintes de la charge.
Et dans ces années 1930, l'abbé Pelot très respecté, dont de nombreux Orgeletains se souviennent encore « un grand homme en soutane noire perfectionniste, pour ne pas dire pointilleux » n'acceptait aucune erreur si minime soit-elle de la part de l'enfant de choeur dans le déroulement d'une cérémonie religieuse. Aussi les tout jeunes candidats - dix à douze ans - étaient convoqués plusieurs fois dans la semaine à la cure ou à l'église pour situer chronologiquement leurs interventions dans toutes les cérémonies religieuses.
Apte à devenir enfant de choeur, le nouveau promu s'engageait comme acolyte, c'est à dire « servant en bas de l'autel et accompagnateur du prêtre dans ses fonctions liturgiques » ; outre certains exercices comme changer de place le gros missel, porter le bénitier, apporter les burettes sur un plateau, il était celui qui agitait les sonnettes au moment de l'élévation, faisant s'incliner et relever la tête des fidèles... Il pouvait aussi avoir une fonction très spécifique : s'occuper essentiellement de l'encensoir ; il prenait alors le titre de « thuriféraire », ou bien encore, lors des processions ou de certaines cérémonies religieuses, manier le cla-pier une espèce de boîte ressemblant à un plumier dont le couvercle se refermant bruyamment était le signal pour modifier les gesticulations, les rythmes, ordonner un changement de direction ou d'attitude. On appelait cet enfant de choeur le « cérémonial ».
Les enfants de choeur étaient donc présents à toutes les manifestations religieuses : offices, baptêmes, enterrements où ils accompagnaient le prêtre au cimetière, l'un portant la croix, son camarade le bénitier pourvu du goupillon ; - Fête Dieu, procession... Cette présence obligatoire de l'enfant de choeur posait problème parfois, car d'âge scolaire, pour participer à certaines manifestations, il devait quitter ne serait-ce qu'une heure sa classe et cette absence perturbait automatiquement les cours... Et à une époque l'instituteur et le curé faisaient rarement bon ménage. Cependant, avec une autorisation par les parents le maître libérait l'élève à condition que l'absence ne se renouvelle pas trop souvent. Le jeune enfant de choeur lui était aux anges non seulement parce qu'il échappait aux cours et probablement aux interrogations mais parce que sa participation à la cérémonie religieuse n'était pas gratuite, surtout pour les baptêmes où, généreusement la marraine lui faisait cadeau d'un cornet de dragées et de quelques menues monnaies, lui évitait ainsi les bousculades, les chutes des gamins qui se jetaient férocement sur les dragées lancées à la volée.
Et puis, il faut bien l'avouer, en entrant à la sacristie, un privilège... le pain béni coupé en petits cubes dans des paniers d'osier excitait l'appétit alors à l'abri des regards, l'affamé extirpait quelques morceaux qui devenaient brioche dans sa bouche tant la « maraude » c'est bien connu, donne un meilleur goût. Enfin l'enfant de choeur éprouvait aussi le prestige de l'uniforme. Il se croyait quelqu'un d'important quand les tintements de la sonnette qu'il agitait, imposaient sa loi au prêtre et aux fidèles. Comble de fierté pour les enfants de choeur choisis pour chanter devant l'autel, en solo, les matines de la messe de minuit ; les paroles en latin et la musique du Primo Temporé, Consolamini et Consurge donnaient les fidèles et les ravissaient.
André Jeannin
Article paru dans le Progrèe le 5 janvier 2003