Pierre, bois fer et béton...
C'est le pont de la Pyle au fil des siècles
De tout temps la vallée de l'Ain, à proximité de La Tour-du-Meix, a été un lieu de passage important pour accéder de la plaine à la montagne; il est bien normal alors que de nombreux ponts aient été jetés sur la rivière pour la franchir. Aujourd'hui, ils permettent de se faire une idée des progrès de la technique depuis le pont en pierre rustique des Romains jusqu'à celui en béton précontraint construit actuellement.
Pont romain
A l'époque de la Gaule romaine, un pont de pierre aurait été construit sur l'Ain, au site du pont de la Pyle, sur la voie Orgelet, Ville-d'Antre. Certains historiens francs-comtois prétendent même que les Romains auraient utilisé une légion égyptienne pour creuser, ou tout au moins aménager la cluse qui de La Tour-du-Meix conduit à la vallée.
Le bac
Au Moyen Age le pont n'existe plus. L'Ain est franchi grâce à un bac. Le passage est important et prennent le bac le messager de la poste qui va de Lons à Saint-Claude, avec ses lettres et ses paquets, de nombreux voyageurs qui se rendent aux foires et marchés d'Orgelet pour s'y approvisionner en grains. Tout est simple par basses eaux, mais en hiver, ou après de violents orages, le passage est souvent impossible. Les voyageurs doivent alors revenir à La Tour-du-Meix, franchir la rivière à Pont-de-Poitte et se diriger par Clairvaux vers Moirans et Saint-Claude.
Pont de pierre du XVIIIe siècle
A la fin du XVIIIe siècle, sur les demandes des villes de Saint-Claude et d'Orgelet et de nombreuses communautés, l'intendant accepte le principe de la construction d'un pont de pierre. Le projet de M. Bertrand, ingénieur en chef de la province, prévoit un pont d'une seule arche appuyée sur deux piles de 114 pieds de long, la voûte étant à 60 pieds au dessus du niveau moyen des eaux. Les piles étant élevées, un cintre de bois est édifié pour permettre la construction de la voûte et les pierres sont posées. La voûte est presque terminée quand, le 7 août 1773, elle s'écroule dans la rivière. Constat est fait par le magistrat d'Orgelet qui explique la chute "par des fautes que l'on a commises dans la direction et l'exécution des ouvrages et la mauvaise qualité des bois employés dans les cintres" et qui demande "de faire retomber les dépenses sur ceux qui en sont les auteurs plutôt que sur cette ville et son bailliage et sur celui de Saint-Claude qui, depuis longtemps, fournissent à ces sortes de dépenses ainsi qu'aux reconstructions et réparations des routes qui tendent à ce pont".
La ville d'Orgelet obtient l'assurance d'une prochaine reconstruction, mais en 1779, les travaux n'ont pas repris, pas plus d'ailleurs qu'en mai 1780, si bien que la municipalité s'adresse au marquis de Marnezia pour l'inviter à faire des démarches, afin de hâter cette reconstruction.
Elles aboutissent à la venue à Orgelet, en août 1780, de l'ingénieur en chef de la province et d'un inspecteur général des ponts et chaussées. On croit enfin toucher au but. La taille des pierres commence, mais il s'avère bien vite que ce pont sera trop coûteux ; décision est donc prise de lancer un pont de bois.
Ponts de bois
En 1783 est donc construit un pont de bois qui tombera dans la rivière le 10 juillet 1803. En 1811 est érigé un nouveau pont de bois, d'une seule arche de 50 mètres de longueur, couvert. Il est incendié en janvier 1814, sur l'ordre du préfet, pour ralentir l'avance des armées d'invasion. Les Autrichiens réquisitionnent alors les habitants du voisinage pour établir un pont provisoire. En 1815 débute la construction d'un nouveau pont, achevé en 1818, mais refusé par l'administration et démoli. En 1820, nouveau pont de bois construit par Girod de La Tour-du-Meix. Il a 38 mètres de longueur et est surmonte d'une partie couverte.
Pont de fer
Ce pont de bois durera une cinquantaine d'années, subissant de très nombreuses réparations mais, en 1860, une délibération du conseil municipal de La Tour-du-Meix apprend "que le pont n'est plus susceptible de réparations, qu'il menace ruine, d'après un rapport de l'agent-voyer en chef". Ainsi, le conseil municipal adopte le principe de démolition avec vente des matériaux dans un laps de temps de six mois ou un an, émet le voeu que le préfet décide le plus tôt possible de la vente des matériaux et que le produit de cette vente, joint aux allocations des communes et aux souscriptions particulières, soit employé à l'établissement d'un pont en fil de fer sur ce même pont. M. le Préfet est en outre prié de demander une subvention au département et à l'état.
En attendant que se construise ce nouveau pont et parce que l'ancien est désormais inutilisable, il sera demandé par le docteur Vincent de Moirans le rétablissement d'un bac pour usage particulier. Le conseil municipal de La Tour-du-Meix donnera son accord, à condition que le bac soit pour tout le monde avec droit de péage ; mais en faisant remarquer cependant le danger que ferait courir aux passagers le bac par hautes eaux, car le courant est fort en certaines périodes. En ce qui concerne le projet de construction du pont, les choses traînent en longueur et une délibération du 2 novembre 1881 du conseil municipal de La Tour-du-Meix révèle « que la construction d'un pont en ciment et en fil de fer, présentant pour le moment des difficultés insurmontables, il faudra s'attacher à la réparation de l'ancien ». Le coût des travaux est évalué à 13000 francs et de nombreuses communes sont prètes à contribuer à ces travaux. Il est question d'un pont suspendu avec instauration d'un droit de péage, car la souscription des communes est nulle ou pas en rapport avec leurs revenus. Ce droit de péage sera d'ailleurs racheté par la commune de La Tour-du-Meix, vu qu'il est un obstacle à la circulation.
Ce pont ne verra pas le jour... et on note qu'en 1892, le vieux pont à galerie n'est pas remplacé puisque la commune refuse à l'agent-voyer la somme de 90 francs prévue pour la réfection du tablier en bois.
Déjà 12 m de haut
C'est donc finalement à l'aube du XXe siècle que sera érigé le pont avec plancher en bois et tablier de fer, le tout reposant sur deux piliers de 12 mètres de haut environ. Ce pont est trop étroit ; son plancher se détériore vite, si bien qu'en 1936 est lancé un nouveau projet de construction, par voie de concours. Le pont devra posséder une chaussée de 3 mètres de large avec deux trottoirs de 0,70 mètre chacun. Mais la situation intérieure et extérieure ne permet pas la réalisation de ce projet et il faut se contenter de travaux de réfection et d'y réglementer la circulation par l'arrêté préfectoral du 14 avril 1939 : « Circulation interdite aux voitures à deux roues pesant voiture et chargement compris plus de 1500 kilos et aux voitures à quatre roues dont le poids serait supérieur à 2000 kilos. »
« Le pont ne devra jamais supporter à la fois plus d'une voiture chargée à 1500 ou 2000 kilos. Pendant la durée de la traversée, les attelages seront mis au pas. La vitesse des automobiles ne dépassera pas 4 kilomètres à l'heure ».
Aujourd'hui, le béton précontraint
Ce pont enjambera l'Ain jusqu'à ce que la construction du barrage de Vouglans nécessite en 1968 la construction d'un ouvrage d'art, confiée à la société des Grands Travaux de Marseille. Ce pont est conçu par Jean Courbon, spécialiste du béton précontraint, qui a déjà réalisé de nombreux ouvrages d'art dont le tunnel maritime de La Havane à Cuba. Il a une largeur de 9,50 mètres, avec une longueur des culées de 350 mètres en quatre travées de 65, 110, 110 et 65 mètres. La hauteur de la pile centrale est de 74,45 mètres.
Au terme de deux ans et demi de travaux (novembre 1965 / mars 1968), le nouveau pont, à la silhouette élancée, était ouvert à la circulation, non sans avoir subi des essais de résistance durant deux jours. Le 29 mars 1968, la Fiat 500 de Geneviève Cathenaux, épouse de l'ingénieur des Ponts et Chaussées d'Orgelet, parcourait les 390 mètres du nouvel ouvrage d'art.
Quant au pont précédent, il repose au fond du lac, sectionné en son milieu par les chalumeaux d'entrepreneurs qui espéraient récupérer les armatures métalliques et qui, surpris par la montée rapide des eaux du lac, ont du abandonner sa démolition.
Sources : dictionnaire Rousset, archives municipales d'Orgelet, archives municipales de La Tour-du-Meix
André Jeannin, article publié dans "Le Progrès" du 20 novembre 1983
"Le Progrès", 8 avril 2018