Clergé constitutionnel et réfractaire sous la Révolution
Combien d'Orgeletains qui ont vécu la période de la seconde guerre mondiale et surtout après le 11 novembre 1942, quand les troupes d'occupation ont franchi la ligne de démarcation, ont craint pour leur liberté et leur vie. Ce fut une période de délation où ceux qu'Aragon a baptisé « des vautours », par appât du gain plus que par conviction politique ont calomnié, dénoncé sans scrupule comme Judas pour quelques deniers, leurs concitoyens sans opinion ou résistants.
Or, les Orgeletains il y a quelque deux cents ans ont connu en pire ce climat de délation pendant la Révolution. Il suffit de fouiller les archives municipales pour découvrir un lot de lettres de dénonciation, de justification et de condamnation. Et les premières victimes furent les prêtres dits réfractaires. L'assemblée constituante a voté la constitution civile du clergé. C'est le mode de nomination des évêques et des curés qui donna lieu à de grandes difficultés. Il fut décidé qu'ils seraient élus par les fidèles : l'assemblée électorale du département pour les prélats, celle du district pour les curés. Les ecclésiastiques, comme les autres fonctionnaires, devaient prêter serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Constitution.
La moitié l'accepte : ce sont les prêtres constitutionnels, l'autre moitié la refuse, ce sont les prêtres réfractaires de plus en plus nombreux quand le pape considère cette constitution comme un schisme. Commence alors une « guerre de religion » et les dénonciations des prêtres anticonstitutionnels et de ceux qui les soutiennent ou les ignorent.
On découvre dans les registres municipaux de l'époque un document qui dresse la liste des prêtres anticonstitutionnels des paroisses du district orgeletain avec une courte phrase sur chacun d'eux ainsi Rosset est jugé « prêtre muscadin anticonstitutionnel » ; Chauvin « jaloux de sa religion romaine », Maréchal « moine, prêtre et curé, apôtre de la superstition monastique ». Il est très rare d'apprécier un ecclésiastique sur ce document, une exception pour Girard « prêtre paisible aimant la Révolution ».
Plus dangereux encore sont les rapports envoyés par le procureur du Syndic d'Orgelet Mornay qui dénoncent les dangers que représentent les prêtres réfractaires et la négligence de la municipalité qui feint d'ignorer leur existence. Voici une de ses accusations : « Le curé et les vicaires constitutionnels de cette ville sont journellement insultés par la secte des prêtres réfractaires et non conformistes. La municipalité instruite de ces insultes en néglige la punition. Le maire dont l'indolence caractérisée par des preuves les moines équivoques affectaient de taire ses injures sans en faire rapport à la municipalité ». L'accusateur public n'ayant pas réagi, Mornay s'adresse alors à une plus haute instance pour « regretter » que « cette dénonciation n'ait opéré aucun effet sur l'accusateur public qui garde le plus profond silence, aussi les prêtres continuent leurs manoeuvres et défendent à quiconque d'assister aux offices, de recevoir les sacrements des mains des nouveaux curés ».
Cette opposition entre prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires perturbe sans arrêt la tranquillité d'Orgelet, surtout quand le curé Charnal refuse le serment et est immédiatement destitué. Il faudra attendre le 3 avril 1791 pour que les électeurs du district le remplacent par Jean-François Guillaumot précédemment vicaire de Gigny. Les ennemis du culte constitutionnel continueront à manifester leur hostilité et la municipalité n'ose trancher et s'adresse au Directoire du département.
La solution viendra sous la Convention qui a accentué la politique de déchristianisation en établissant le culte de la raison, puis le 20 prairial an II celui de l'Être suprême : l'église paroissiale inutile alors sera transformée en magasin de fourrage et sera vidée des « dépouilles de la superstition, les vases d'or, d'argent ou de cuivre » plus utiles à la République sont envoyés à la Convention en la priant « de les accepter comme un gage d'amour et de fidélité envers la République ».
Précédemment avait déjà été fournies deux grosses cloches fondues pour faire des canons. Cette politique de déchristianisation amènera la disparition dans les églises des témoins de la religion catholique ou de l'ancien régime, ainsi l'aigle, emblème de l'empire d'Autriche perdra sa couronne impériale. Retrouvée, restaurée, elle coiffe de nouveau l'aigle utilisé comme lutrin, une pièce esthétique de l'église.
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 16 février 2003