Allons danser, de 1900 à 1947
De nos jours, les occasions de danser sont nombreuses et les jeunes, mineurs encore, filles et garçons hantent les salles et les boîtes de nuit. Au début du siècle, et jusqu'après la seconde guerre, on dansait au compte-gouttes à Orgelet, pour la première raison, qu'il n'y avait pas de salle qui le permettait.
Ce n'est qu'en 1947, après la transformation de la Grenette en salle des sports, que les sociétés locales organisèrent des soirées dansantes. Alors, avant cette date, on profitait de tous les habitudes et événements qui aboutissaient à des danses. D'abord, pendant certaines veillées où, dans une grande pièce, se réunissaient plusieurs familles pour écosser les haricots, casser les noix, survenait une pause au cours de laquelle un accordéoniste apprenti qui, faute de jouer juste respectait le rythme permettait aux travailleurs de valser. Bien souvent au cours de ces soirées, les jeunes filles et garçons esquissaient leurs premiers pas de danse.
On dansait aussi au cours des repas de noce, après que la mariée eut ouvert le bal au bras de son époux ou de son père, mais les parents n'avaient d'yeux que pour leurs filles que serraient de trop près les Don Juan de la soirée. Ils les épiaient bien davantage encore quand elles les accompagnaient dans les bals des fêtes patronales, celle du 15 août à Orgelet, sous chapiteau, celles des villages environnants dans les granges où les notes d'un orchestre local n'arrivaient pas à percer le voile ouaté de la fumée et de la poussière. C'était dans ces lieux, au bras de leur père, que les jeunes filles de 14 ans peaufinaient leur art de la danse, qu'elles ne partageaient pas avec de jeunes garçons qui mouraient d'envie pourtant de valser avec elles.
En 1927, sept jeunes musiciens de la fanfare municipale constituèrent un orchestre qui animait les soirées dominicales. Abel Sorlin jouait de la trompette, Fanand Rolland du piston, Louis Monsnergue de la flûte et du baryton, Marcel Reverchon du trombone à coulisse, Maurice Defferrard de la basse, Maurice Daloz du violon, Maurice Lugand frappait sur la grosse caisse. Ils répétaient une fois par semaine et, devenus des «virtuoses», se produisaient dans les cafés orgeletains.
La population était prévenue par un tour de ville en musique que l'on danserait au café Gudefin (l'actuel café du Centre) ou Sarrand rue de l'Orme ou Bertrand (bourg de Merlia) ou chez la Cécile (café de Paris). Là, une quinzaine de jeunes couples - la salle était exiguë et les filles moins libres que maintenant - pouvaient s'adonner à leur passetemps favori et danser la polka, la valse, la mazurka et même le tango qui en était à ses débuts.
A la même époque, le café Fieux, route de Lons préférait à l'orchestre le piano mécanique qui dévidait ses rengaines. Une évidence à l'époque, les jeunes filles étaient privées de bals. Alors il fallait qu'elles se débrouillent. Et bien aux récréations, les collégiennes dansaient entre elles, dans le laboratoire, l'une était chargée de faire le guet, deux de chanter et les autres tournaient, tournaient. Au cinéma Cottet, entre les premières chaises et l'écran, pendant l'entracte, à la musique d'un disque, virevoltaient en toute liberté garçons et filles sous les regards indignés des bourgeois bien pensants.
Eh oui, car pour eux, ces jeunes demoiselles qui dansaient avec des garçons sans que les parents ne le sachent étaient obligatoirement des filles «légères». D'ailleurs un curé de l'époque n'affirmait-il pas que «notre ange gardien s'arrêtait à la porte du bal pour céder sa place à Satan». Pire, cet article sur le bal par l'évêque d'Auch publié dans l'Echo paroissial de juillet 1937. Il évoque «les ravages qu'opèrent dans la jeunesse les mauvais bals et les danses immorales, celles qui ne sont que des excitations à la luxure - en particulier le tango». Et puis il fustige les «à côtés» du bal : la liberté scandaleuse des propos échangés, le laisser-aller, les libertés condamnables entre personnes de sexe différent, les échappées dans la nuit de jeunes gens et jeunes filles surexcités par l'ardeur de la danse.
Quant aux personnes qui «vont au bal avec l'intention arrêtée d'en profiter pour satisfaire leurs mauvaises passions, elles sont des criminels. Les pères et mères qui permettent à leurs enfants d'aller dans des bals où ils sont abandonnés sans surveillance aux pires dangers; ceux qui leur donnent l'exemple de leur propre dévergondage, commettent eux aussi un crime abominable».
Aïe, aïe, aïe ! On n'y allait pas de main morte en 1937, il y a soixante ans... Que dirait Monseigneur l'Evêque d'Auch, s'il avait vécu en 1998 ?
André Jeannin
Article paru dans "Le Progrès"