A l'école maternelle autrefois

Entrée de l'école maternelle d'Orgelet, dans l'ancien couvent de BernardinesDepuis 1988, les jeunes élèves de l'école maternelle ont quitté leur bâtiment de l'avenue des Bernardines pour celui tout récent et plus fonctionnel de l'avenue Lacuzon. Et l'on a déjà oublié que plusieurs générations d'écoliers ont poussé bien des fois le battant de la porte voûtée de la Grand'Rue surmontée d'un arc de marbre sur lequel en lettres d'or on pouvait lire « École maternelle ».

Elle s'ouvrait sur un vaste perron dallé, qui se cassait sur une rangée de grands escaliers qui cascadaient jusqu'à une cour exiguë entourée de hauts murs la séparant de l'école primaire de filles et de la caserne de gendarmerie. En face, le bâtiment, ancien couvent des Bernardines, avec une cuisine obscure, une salle de récréation et une salle de classe avec des piliers supportant la voûte du plafond. La lumière, parcimonieusement livrée par d'étroites fenêtres, accentuait l'impression de prison qu'on avait déjà en entrant dans la cour. C'était peut-être pour cela que les détenus, les enfants de 4 à 6 ans, hurlaient.

École Maternelle d'Orgelet en 1920En 1868, bien avant les lois Jules Ferry, existait déjà une école maternelle appelée « L'asile », qui ressemblait plutôt à un établissement d'assistance charitable et qui accueillait, sous la responsabilité d'une directrice et d'une institutrice, 88 élèves (48 garçons et 40 filles) de 3 à 6 ans. Le maire et le comité des dames patronesses assurent des visites de contrôle et leur rapport dit : « la satisfaction pour le premier résultat obtenu depuis l'ouverture de l'établissement et pour le zèle et le dévouement de la directrice » . L'asile est aussi visité par d'autres notabilités : le préfet, qui apprécie « l'excellente organisation de cet établissement d'assistance charitable » , le député du Jura qui, le 13 mai 1869, termine son rapport par une grandiloquente envolée « Je n'ai pas vu sans une émotion intense la bonne tenue des petits enfants, leur air poli et réservé et l'apparence d'une forte constitution ».

École maternelle d'Orgelet en 1934Plus terre à terre, les remarques de la déléguée spéciale de l'académie de Besançon qui souhaite « la construction d'un préau contre le mur de la gendarmerie, la plantation d'arbres pour leur ombre et rappelle l'obligation de n'accepter que des enfants peignés, lavés et vêtus proprement ». Ils l'étaient probablement ceux des écoles maternelles de Jules Ferry et en particulier les garçonnets et les fillettes d'Orgelet aux environs des années 1930. Avant d'entrer en classe, la directrice, d'ailleurs la seule enseignante, Mme Berthier puis Mlle Peguillet, passait la revue des mains, des genoux et des têtes Les « malpropres » n'étaient acceptés qu'après s'être lavés sur l'évier de la cuisine ; quant aux « pouilleux », ils avaient un jour pour se débarrasser de leurs encombrants pensionnaires, sinon on leur passait la chevelure à la « Marie-Rose ».

École maternelle d'Orgelet en 1944Les directrices étaient sévères, mais elles étaient moins craintes des élèves que la femme de service, la Reine, qui imposait une sévère discipline à ce petit monde bruyant, qui se traduisait parfois par des fessées, des séances de piquet et, humiliation suprême, la tête recouverte par la culotte souillée. Les parents ne s'indignaient pas. La preuve : ils demandaient que les petits enfants soient gardés à la classe enfantine jusqu'à 19 heures : le 12 mai 1895, le conseil municipal l'approuvait et offrait 50 francs à la directrice pour ce supplément de travail.

Une école maternelle à Orgelet dans les années 1960A l'école maternelle, à cette époque, on fait déjà l'apprentissage de la lecture et du calcul, et la plupart des élèves qui, à 6 ans, passent à l'école primaire, deux fois par an à la rentrée d'octobre et à Pâques, savent lire couramment. La maîtresse utilise la méthode syllabique. Sur un tableau noir est écrite la lecture du jour. Les petits élèves ensemble lisent les lettres, les syllabes, puis les mots qu'elle désigne du bout d'une longue baguette. Parfois elle demande aux « doués » de se taire pour mieux juger des hésitations et des difficultés rencontrées par certains. Et puis chacun ouvre son abécédaire pour lire à haute voix, individuellement.

Pour apprendre à compter les seuls matériels dont disposent les écoliers sont des bûchettes réunies par dizaines et des abaques sur les tringles desquelles on déplace des boules. Mais à l'école maternelle, on dessinait aussi, on chantait, on faisait des rondes, on jouait aussi. Et y sont nées des amitiés durables.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 19 mars 1995