En évoquant la gare démolie !
Il y aura dix ans déjà 1, au mois de mars que la gare a été démolie à grands coups de bulldozer et, à son emplacement se situe le parking du groupe scolaire et de la salle polyvalente. Pour que plus rien ne l'évoque, on a débaptisé sa place devenue place du Colonel Varroz ou avenue Lacuzon, on ne distingue pas clairement les limites.
Ainsi ce bâtiment n'a pu fêter son centenaire, puisqu'il a été construit quelques années avant 1900 et sur un emplacement non souhaité par le Conseil municipal et les 338 pétitionnaires qui auraient préféré pour son implantation les Prés Catelins.
La gare appartient désormais au souvenir, au domaine de l'imagerie, des cartes postales. Pourtant ceux qui l'ont bien connue, souvent fréquentée, se rappellent d'un pimpant bâtiment à façade blanche rehaussée de quelques pierres de soubassement ou d'angles marrons, ajourée de fenêtres aux volets pleins ; au grand escalier de granit bordé d'une barrière métallique, qui, par un étroit perron donne accès à un coquet appartement.
Au rez-de-chaussée, quatre portes vitrées aux deux tiers s'ouvraient sur des salles dallées et exiguës avec banquettes en bois et une espèce de grande cage avec guichet pour le chef de gare. Un quai surélevé se terminait sur des remises à marchandises protégées par des rideaux en tôle ondulée. D'ailleurs cette gare a de nombreux sosies aujourd'hui encore le long des lignes de chemin de fer désaffectées du département.
A ses débuts et pendant de nombreuses années, la gare accueillait les trains de voyageurs et de marchandises dont la vitesse excessive en traversant la ville - 12 km à l'heure ! - avait provoqué l'ire des conseillers municipaux. Plus tard, le tacot fut doublé par un service d'autocars...
A ces moyens de locomotion s'attachent des événements importants, douloureux; parfois, comme le départ de: poilus en 1914 pour une guerre-éclair qui devait durer quatre ans ou celui des soldats de 1939 ravis «d'aller pendre leur linge sur la ligne Siegfried ».
Heureux aussi comme les multiples retrouvailles, comiques même comme les complots lycéens hebdomadaires pendant la dernière guerre le lundi matin, le car arrivai d'Arinthod bourré «comme un oeuf» et les Orgeletains restaient fort mécontents sur le quai à l'exception de deux ou trois lycéens qui voyaient soudain une vitre s'abaisser ai fond du car, ouverture dont ils profitaient pour se propulser l'intérieur tirés par leurs « copines » étudiantes d'Arinthod
Imaginez la colère du chauffeur M. Prudent, quand il découvrait ces passagers clandestins, mais il se calmait vite, devenant complice de leur débrouillardise.
Avec le légendaire M. Prudent, les deux derniers chefs de gare, très différents l'un de l'autre s'attachent aux souvenirs de la gare. Le plus ancien, M. Laprevotte appartient à la période faste ; aussi avait-il une haute idée de sa fonction ; costaud, sévère, renfermé, militaire il se comportait comme une espèce de marquis de Dreux-Breze en grand maître de cérémonie. L'autre M. Lomberger a vécu la décadence de la gare ; moins strict, plus disert, plus « abordable » il ne ressemblait à son prédécesseur que pour la conscience professionnelle.
Malgré eux, un jour, la gare a attendu en vain le petit train. Le car s'arrêtait encore sur sa place, mais de moins en moins longtemps ; des colis étaient encore entreposés dans son hall, moins nombreux... Et puis elle est devenue une gare désaffectée, une gare oubliée, une maison d'habitation pour quelque famille orgeletaine, un bureau pour les Ponts et Chaussées, un abri pour le matériel municipal, un asile passager pour l'Association des donneurs de sang... puis pour finir, hélas ! un jour pour démolisseurs.
André Jeannin,
Article paru dans le Progrès du 16/2/1992
1. Note du Webmaster : la gare a été démolie en 1982, l'article date de 1992