Quand passer son certificat était un événement

Certificat d'Études primaires élémentaires en 1936Placé au-dessus de la tête du lit, le diplôme du Certificat d'études primaires élémentaires était plus vénéré qu'un icône.

Le lauréat et ses parents relisaient le texte chaque fois qu'ils entraient dans la chambre et ils éprouvaient satisfaction et fierté. Il est vrai que pendant près d'un siècle, jusqu'en 1950 environ, ce diplôme représentait vraiment quelque chose, car on l'exigeait pour entrer dans certaines administrations ; il sanctionnait souvent une fin d'études, car les élèves qui les poursuivaient pour tenter le brevet élémentaire ou mieux le baccalauréat étaient peu nombreux. D'ailleurs ceux qui ont passé « l'ancien » certificat disent qu'il était plus difficile qu'un brevet de collège d'aujourd'hui. Il est vrai que le certificat demandait des connaissances de bases.

Il comprenait une épreuve d'orthographe sur laquelle se greffaient des questions sur la compréhension du texte, le vocabulaire, la conjugaison, la grammaire ; de composition française, de calcul (raisonnement et opérations) de calcul mental, d'histoire, géographie, sciences... et puis des matières d'oral : lecture, récitation ou chant, de dessin.

L'écriture était appréciée sur la dictée, qui n'étant jamais facile était la terreur des élèves peu doués car les cinq fautes entraînaient un zéro et l'inexorable élimination... Mais les « maîtres » qui avaient la responsabilité de conduire l'élève de 12 ans (on n'accordait jamais de dispense d'âge en dessous) au CEPE faisaient de sa réussite la priorité de l'année scolaire.

Alors, si les heures de classe ne suffisaient pas, l'instituteur faisait des heures supplémentaires gratuites au cours desquelles on révisait les règles d'accord des participes passés, on différenciait pour la enième fois le prix d'achat et le prix de vente, on ressassait comme une litanie le chapelet des dates, on dessinait trois ou quatre fois la carte du Rhône avec les villes traversées... on multipliait par 11,25,50,75, mentalement en utilisant les astuces, on rerécitait les cinq poésies du cahier très soigné.

1958-1959 Ecole de filles d'Orgelet - Classe de Mme GirardEnfin on se croyait fin prêt et un beau matin de juin, tous les candidats accompagnés de leurs maîtres arrivaient endimanchés à l'école du chef-lieu. Aucune inquiétude chez les élèves orgeletains qui retrouvaient leur salle de classe et savaient depuis la veille déjà la table qui leur était réservée ; par contre les « campagnards » paniquaient quand ils n'arrivaient pas à découvrir leur nom sur l'étiquette collée sur les tables.

Chacun, enfin installé, commençait l'examen avec le temps découpé en quartiers, les minutes qui s'égrenaient inexorablement sans que surgisse la solution. Et la courte pause de la récréation n'était pas un répit, car surgissait l'instituteur bourreau avec son interrogatoire « as-tu mis ent au verbe ; as-tu ajouté le bénéfice au PA pour obtenir le PV ? Heureusement l'épreuve reprenait avec arrêt à midi pour permettre à l'inspecteur primaire, aux correcteurs et aux surveillants de participer au banquet tandis que l'instituteur de campagne mangeait avec ses élèves dans un petit café de la ville, où s'il faisait beau, pique-niquait avec eux.

Dès 14 h 30 commençait l'oral. Toutes les personnalités du canton, tous les enseignants retraités formaient couple avec ceux qui étaient encore en activité. Ils devaient apprécier et chiffrer par une note l'aisance de la lecture, l'art de reciter. Et c'était fini I Anxieux les maîtres et les élèves attendaient les résultats...

Enfin, austère, l'inspecteur, une liste à la main, annonçait le nom des lauréats. Vite, les instituteurs établissaient un bilan, à croire que leur traitement était directement proportionnel au nombre d'élèves admissibles. En fait l'enseignant, souvent, était jugé par ses supérieurs hiérarchiques et par les parents au pourcentage des réussites.

Les maîtres comptabilisaient aussi les mentions et une mention bien portée sur le diplôme de l'un de ses élèves le récompensait de son travail consciencieux. Et s'il avait un « premier du canton » (ce qui donnait droit au lauréat à un livret de Caisse d'épargne avec un placement de 50 francs) il éprouvait la même fierté que le vainqueur d'une grande compétition.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 2 mai 1993