Et si on s'intéressait aux bois et forêts

La GargailleEn 1922, Emile Monot, membre de la Société d'émulation du Jura trouvait les bois du plateau jurassien moroses, à l'aspect méchant, où la bête de la Gargaille avait bien choisi le théâtre de ses exploits, des bois sans feuilles et sans oiseaux. Par contre il retient que lorsqu'on approche d'Orgelet il y a « plus de lumière dans l'air et plus de gaieté » serait-ce que l'agglomération qui reste accueillante et vivante n'était pas endeuillée de bois et de forêts ? En tout cas l'histoire, pendant des siècles, a occulté cette présence.

Est-ce trop s'avancer que d'affirmer que le Mont Orgier au-dessus d'Orgelet subdivisé depuis les Romains en petite danse et grande danse n'était pas aussi fourni en conifères qu'actuellement, puisqu'en ces lieux s'y tenaient des fêtes païennes à la gloire des dieux Cybèle et Bacchus et que longtemps après la population allait encore y prendre ses ébats le jour de l'Ascension. Une forêt riche en arbres ne permettrait pas ces festivités.

La glandéeLa forêt n'est guère évoquée dans les écrits du Moyen Age : à peine une miniature de Jean Colombe tirée des « Très riches heures du duc de Berry (1340-1416) » présente une scène familiale : la glandée... avec un troupeau de porcs paissant dans un bois de chênes clairsemés, probablement communal et même deux cent cinquante ans plus tard, en 1685, ce nouveau caractère de la forêt d'Onoz très riche en gibier surtout des sangliers et même des ours puisque « M. de la Vilette en tua un qui était la terreur du pays ». L'ours des montagnes d'OliferneDonc une forêt pourvoyeuse de gibier et pourquoi pas la même présence d'ani-maux sauvages dans le bois de Crance qui appartient à Orgelet et est limitrophe - ou presque - avec Onoz ? Premier bilan forestier orgeletain avec cette délibération du conseil municipal du 3 septembre 1783 : il est précisé que l'ensemble des forêts contient environ quatre cents arpents de bois, chêne, hêtre, orme, tilleul, charmille et bois blanc et que l'affouage est réservé aux salines de Montmorot ; celle du Moulin a été exploitée il y a neuf ans ; celle de Crance dix-huit ans, celle du Mont Orgier vient d'être terminée, celle du Mont est en exploitation. Il est précisé aussi qu'il est défendu au public de prendre du bois dans les forêts exception faite une fois l'an pour les propriétaires et les laboureurs qui pourront s'y approvisionner dans la forêt de Crance de liens de coudriers.

Le mont Orgier dénudéCe qui paraît époustouflant à cette époque c'est que cette forêt ne profitait guère aux Orgeletains. Elle dépendait de la Maîtrise des eaux et forêts de Poligny et de la gruerie (espèce de juridiction où des officiers forestiers jugent les délits). Et cette Maîtrise se permet de refuser après l'incendie de 1752 qu'on prenne les bois de charpente nécessaire dans la forêt de Crance. Comment auraient réagi ces Orgeletains dans la période 1940-45, eux qui se chauffaient l'hiver avec le bois récupéré au Mont Orgier, si cela avait été considéré comme un délit. Ce système de la gruerie, très complexe, prit au fur et à mesure que diminuait l'autorité seigneuriale moins d'importance mais il fallut attendre tout de même le début du XIXe siècle pour que la coupe de bois fut la principale ressource de la commune. A cette époque d'ailleurs on ne trouvait pas de conifères (pins, sapins, épicéas) qu'on commença à planter au début du XXe siècle. Les cartes postales du début de ce siècle montrent encore les pentes du Mont Orgier complètement nues ; n'y végète entre les cailloux qu'une herbe rare que broutent des troupeaux de vaches ou de moutons que surveillent de très près des bergers à cause des corniches très hautes et très proches. La Madone, tout en haut de la côte protège-t-elle les troupeaux et renouvelle-t-elle tous les jours un miracle, une espèce de multiplication de l'herbe afin que les animaux ne ruminent pas seulement que de l'air.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 13 janvier 2002