Premiers bals à la Grenette

De nos jours, dans le canton d'Orgelet, on a le choix pour fêter la Saint-Sylvestre, au cours de soupers dansants qui ont lieu au chef-lieu de canton ou dans de nombreuses salles fonctionnelles et modernes des communes environnantes.

Autrefois ce genre de festivité était impossible et les jeunes se contentaient de danser dans quelques cafés de la ville, entraînés par une pléiade de musiciens de la fanfare qui avaient constitué un orchestre, ou bien dans des granges pour les fêtes patronales de village, ou pendant la guerre, dans la salle de cinéma au moment de l'entr'acte.

Les responsables d'une association tenant le bar de la Grenette pendant un balC'est immédiatement après le conflit 1939-45 que les associations locales ont pu organiser des bals car elles ont hérité d'une salle, celle de la Grenette, ancien dépôt à grains, à foin et à aliments agricoles, que la municipalité avait voulu transformer en salle de gymnastique. Les footballeurs de l'USO avaient participé à sa réalisation et si le « Gymnas Theron » ne permit pas longtemps aux sportifs de s'entraîner à la barre fixe ou au cheval d'arçon, il devint une salle de bal parfaite, avec un parquet impeccable. Oh ! ce n'était pas pour autant la Grenette d'aujourd'hui dont on se plaint beaucoup pourtant. Elle était d'abord plus exigüe puisque le tiers environ, côté bourg de Merlia, était occupé par les engins modernes de la compagnie de sapeurs-pompiers. Et puis, pas de faux-plafond au niveau des poutres, la salle s'élevait jusqu'au toit et si les danseurs ne risquaient pas de manquer d'air, par contre ils étaient rationnés en chaleur, l'air chaud fuyant par les larges interstices entre les tuiles. De l'air, ils en recevaient aussi, en bourrasques, de sous les portes disjointes ou des fenêtres à barreaux sans vitres.

Organiser un bal dans les premières années qui ont suivi la guerre, était pire qu'effectuer avec succès un des douze travaux imposés à Heracles. Tout d'abord il fallut modifier l'espace de danses. Ingénieux des Orgeletains édifièrent une espèce de terrasse en bois, surélevée, à laquelle on accédait par une rampe d'escaliers.

Une barrière de planches courait autour de la terrasse et en s'appuyant sur cet oirignal garde-fou, on pouvait suivre l'évolution de tous les danseurs comme au théâtre on voit mieux les acteurs depuis les balcons.

Bal à la grenetteLe plus difficile était de chauffer la salle. Pas d'autres moyens que deux énormes fourneaux à bois et à sciure prêtés par les Etablissements Mouret qui fournissaient aussi grâcieusement le combustible, énormes fourneaux munis d'interminables tuyaux qui crachaient leur fumée dehors où ils communiquaient par un trou rond percé dans un carré de tôle qui remplaçait une vitre. Pendant qu'une équipe s'occupait du chauffage, une autre se chargeait de récupérer des tables et des bancs, car la salle n'était pas aménagée et celles que livraient le fournisseur de boissons ne suffisaient pas, aussi il fallait en récupérer d'autres, de toutes formes et de toutes dimensions, chez les cafetiers.

Les travaux n'était pas encore achevés. Il restait à monter l'estrade des musiciens - quelques grandes et larges planches, sur des tréteaux - confectionner une espèce de guérite à l'entrée percée d'un guichet, donner un air accueillant à la salle en clouant aux plus hautes poutres, après des exercices périlleux sur des échelles mal arrimées, des guirlandes, camoufler le disjoint des portes et des fenêtres, installer le bar - deux grandes tables mises à bout, stocker les caisses des différentes boissons, réquisitionner de nombreux verres.

Alors, enfin tout était prêt pour accueillir les dimanches soir - car les bals n'avaient pas lieu le samedi - une foule joyeuse cosmopolite endimanchée - cellule familiale complète et guidée ; groupe de jeunes libérés et bruyants qui lapaient à la régalade le mousseux pour obtenir la quinzième bouteille gratuitement et qui, du haut de la tribune, dévoraient des yeux des jeunes filles élégantes qui... hélas !... ne dansaient qu'en cercle fermé.

André JEANNI
Article paru dans Le Progrès le 1er janvier 1995