Les ruines du château d'OrgeletIl est question de déboiser et de débroussailler un tant soit peu l'éperon rocheux du Mont-Orgier sur lequel était érigé le château fort des comtes de Chalon. On dégagerait ainsi les murs d'enceinte qui descendent de la forteresse jusqu'à la rue du Noyer d'Aru du nom de l'ancien propriétaire du jardin où se trouve l'arbre et non pas comme le rapporte la légende, du fantôme qui en sortait pour importuner les belles damoiselles du château. Les garçons téméraires des années 30, connaissaient bien ces « grands murs » qui ne disparaissaient pas encore sous les tentacules des lierres. Ils se permettaient des équilibres dangereux sur ces murailles hautes parfois de dix mètres, aux pierres disjointes qui rejoignaient perpendiculairement les remparts qui ceignaient la citadelle.

Parfois ils préféraient les longer à la base depuis le chemin de Plaisia et grimper jusqu'au terre-plain pour découvrir l'ossature du donjon ou la paterne qui permettait de « saillir par derrière sans le danger de vie entièrement ». Et ils imaginaient la fuite silencieuse des défenseurs en déroute ou plus romantique, l'escapade amoureuse d'une jeune châtelaine pour retrouver pendant quelques instants son élégant damoiseau.

Des torrents d'huile bouillante

Rendre visibles ces « grands murs » c'est remémorer l'histoire des fortifications et par elles-mêmes l'histoire du château féodal dont ces gamins du début du XXe siècle n'ont connu que deux pans de murs trapézoïdes, seuls vestiges de cette citadelle qu'un terrier de 1455 décrit pourtant comme « une très belle et très notable forteresse de grande apparoissance et spacieuse, assise sur une haute roche de deux côtés autour de la ville, fermée de deux paires de murs tout à l'entour et en icelle d'une grande tour carrée couverte de plomb. Elle ne devait pas être aisée à investir et les écoliers d'il y a cinquante ans, en culotte courte, en ont fait l'expérience qui, par jeu montaient à l'assaut de la colline sous les jets de « pelousses » et de « gratte à cul » envoyés par les frondes de leurs camardes ennemis pour la circonstance. La dégringolade était si rapide, qu'ils n'avaient pas le temps de songer à ces soldats du Moyen âge qui fuyaient eux aussi sous les avalanches de flèches et les torrents d'huile bouillante ou de plomb fondu envoyés par les défenseurs bien à l'abri derrière leurs murailles qui devaient exister déjà au moment de la concession des franchises en 1267. Ce qui est certain c'est qu'elles entouraient déjà la ville en 1363 puisque Tristan de ChaIon les fit consolider afin de mettre Orgelet à l'abri des « routiers » (soldats pillards du Moyenâge qui commettaient toutes sortes d'exactions).

Le vieux portailEt le même terrier de 1455 précise encore : « la ville est fermée de murs et de plusieurs tours et fossés, et en icelle il y a quatre portes, l'une la porte des Ormes dévers soleil couchant, l'autre la porte de la Fontaine dévers le soleil levant, l'autre la porte du Bourg de Merlia dévers vent et la quatrième la porte de la Combe derrière le Chastel. Et encore et entour, il y a une petite porte appelée portelle. L'église est joignant et faisait défense avec les murs de la dite ville. Ces portes étaient défendues par des herses et des ponts levis. Les bourgeois en avaient la garde et celle des clés de la ville. Les attaques incessantes contre la résidence forteresse des comtes de Chalon avaient bien souvent endommagé ces passages dans l'enceinte et créé des difficultés financières pour leur réparation comme en 1634-1635 avant le début de la guerre de dix ans, en 1674-75 sous l'occupation française il fallut aussi « rétablir » des portes en chêne, mais cette fois pour empêcher l'entrée des étrangers à cause de la peste qui sévissait à Lyon. Les portes restèrent intactes pendant une centaine d'années jusqu'au 7 décembre 1774, l'Intendant Lacore « enjoint le magistrat de faire démolir dans les trois jours la porte de la Place au Vin qui gênait la circulation ». La démolition est adjugée au maçon Laurent Crolet et les matériaux sont vendus aux enchères. Quant à la porte du Bourg de Merlia elle a été consolidée par la construction au-dessus d'une maison d'habitation et son ossature voûtée demeure laissant apparaître les empreintes du pont levis ; les Orgeletains l'appellent le porche ou le portail et ils tiennent beaucoup à le conserver.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 30 décembre 2001