Voyages d'autrefois à Orqelet
Dans le dernier numéro de l'Écho paroissial, M. le Curé d'Orgelet a exprimé les regrets de toute la paroisse à l'occasion de la mort de M. L'abbé Dey, notre très regretté vicaire, et il a fait un juste éloge de cet excellent jeune prêtre dont nous avions tous apprécié la cordiale simplicité, le souriant dévouement et la franche bonté. Nos prières accompagnent son souvenir que gardent affectueusement tous ceux qui l'ont connu.
Il est mort victime d'une de ces machines à aller vite qui, certes, rendent d'indispensables services, mais qui, trop souvent, les font chèrement payer. En quelques mois, voilà deux prêtres du Jura en pleine activité d'âge et de services, notre vicaire et M. l'abbé Perrier, originaire de Marigna, qui meurent tués par ces motocyclettes qu'on a justement appelées le Cheval de la Mort, victimes de la vitesse.
Cela m'a fait revoir, en imagination, les voitures qui précédaient nos véhicules rapides d'aujourd'hui. Maintenant, quand nous voulons descendre à Lons ou remonter le soir, un confortable et magnifique autocar nous transporte en quarante minutes. Oui, nos pères l'auraient-ils cru ? en 40 minutes, nos 24 kilomètres sont avalés. Quel progrès même sur le tramway qui, il y a 30 ans, parut une magnifique amélioration ! Pourtant sa locomotive poussive s'essoufflait à tirer sa ferraille de 4 ou 5 wagons. Il mobilisait 4 ou 5 employés, mettait 2 heures à faire le voyage, se reposait à toutes les stations. Le service d'aller et retour de Lons-le-Saunier à Arinthod nécessitait deux trains, un dans chaque sens. Maintenant, entre 6h1/2 et 9 heures, les deux trajets sont escamotés et par un seul autobus et un seul chauffeur. Économie de temps et d'argent. Mais où sont les vieilles voitures d'il y a seulement 40 ans ? les voitures jaunes de la maison Alfred Bouvet. Pauvres vieilles ! Elles dorment sous la poussière de quelque remise, cimetière des voitures défuntes, un sommeil bien gagné par leurs longs services. Peut-être les a-t-on démolies et vendues au vieux fer.
Il y avait deux services : l'un qui a appartenu successivement à Joseph Sage et à Émile Gerdil, partait d'Orgelet le matin à 7h. de la place au Vin, et le soir on le prenait à Lons, rue Lafayette, devant le bureau de la maison Bouvet où on avait, le matin, retenu sa place. Longtemps, il fut conduit par Jules Hughes qui était de Nermier. Ah ! celui-là connaissait la route, qu'il nuit faite des milliers de fois. Il me disait que l'endroit où, en hiver, le vent pinçait le plus fort, c'était entre le Retour de la Chasse et le Relais (c'était le nom bien plus joli qu'on donnait alors à ce que depuis les ingénieurs ont appelé pesamment la Bifurcafion). Comme il faisait bien, à Lons-le-Saunier, les commissions dont il se chargeait, Jules Hugues ! Il est venu mourir à Orgelet. Il m'avait dit « J'irais bien me retirer à Nermier où est ma famille, mais il y a cette montée du Pont de Vaux qui vous met loin de tout ».
Quand cette voiture remontait le soir, il arrivait souvent que, en haut de Revigny, au pied de la grande montée, le conducteur s'arrêtait, venait ouvrir la portière. On savait ce que cela voulai dire. Les gens qui avaient de bonnes jambes, les hommes descendaient et grimpaient à pied par ce qu'on appelait le chemin et qui avait été autrefois, le croiriez-sous ? la grande route. Pendant que les chevaux tiraient la langue dans la montée, les gens alertes escaladaient le sentier pierreux, atteignaient en avance l'auberge du Retour de la Chasse où il y avait une enseigne aujourd'hui disparue et qui représentait un ou deux chasseurs rapportant leur gibier. L'aubergiste, le capitaine comme on l'appelait, je ne sais pourquoi, son nom était Mandrillon, servait durant la saison, de quoi se rafraichir ou se réchauffer soit dans la grande salle du fond, soit devant la maison. Le capitaine connaissait tout le Jura ; aussi, en temps d'élection, les candidats lui faisaient-ils risette. J'en ai vu, de ces aspirants députés qui d'ordinaire étaient pas mal grincheux. Comme ils devenaient souriants et comme ils avaient la poignée de main facile pour Mandrillon ! Et celui-ci se rengorgeait quand il disait. « Mon ami Trouillot, mon ami Lelièvre ».
Tout cela est mort depuis longtemps. Seule a survécu pendant des années la Marie, la compagne de Mandrillon, morte à son tour.
Le second service était relui du Courrier, mais si j'en parlais aujoud'hui l'article serait trop long. Gardons cela pour la prochaine fois. Comme disent les feuilletons des petits journaux « La suite au prochain numéro ».
L'abbé Clément
Bulletin paroissial d'Orgelet - Janvier 1933