On l'appelle toujours rue du château, malgré la desctruction de ce dernierDans les premières décennies du XXe siècle, Orgelet était une petite bourgade blottie en fer à cheval au pied du Mont-Orgier couronné encore à son sommet des ruines trapézoïdes du château féodal des puissants comtes de Chalon. Les rues qui sillonnaient la ville évoquaient par leur nom un passé moyenâgeux ou une longue période des rois de France. On les retrouve encore à l'aube de ce troisième millénaire.

Au nord-est, on entre dans Orgelet par la Grand'rue. Autrefois, elle était uniquement le quartier des cultivateurs, aussi est-elle très large et pavée pour faire avec plus de facilité, tourner les charrois et circuler les bestiaux. Elle était jadis plus exclusivement habitée que les autres quartiers par les gens moins aisé et si l'on croit l'abbé Clément « c'était là que se conservait dans toute sa pureté la façon de prononcer l'accent du terroir ». En tout cas, en 1930, les élèves orgeletains qui fréquentaient dans cette rue l'ancien couvent des Bernardines devenu école formaient deux groupes différents selon qu'ils habitaient le « bas de la ville » ou le « centre ».

La partie supérieure de la Grand'rue dans les années 1920Depuis la deuxième guerre, les fermes ont disparu l'une après l'autre et sont devenues de coquettes maisons d'habitations qui ont conservé du passé la voussure de leurs grandes portes de grange.

Des petits hommes au nez crochu...

En haut de la Grand'rue, au dessus de la fontaine qui servait d'abreuvoir aux troupeaux de la rue de la Tis-serie borde les premiers contreforts du Mont-Orgier. Elle s'appelait rue des Juifs jusqu'à la fin du XVe siècle, où vivaient en ghetto autour de leur synagogue « des petits hommes noirs, aux yeux bridés et au nez crochu, vêtus d'un caftan noir, coiffés d'un haut bonnet de feutre, baragouinant en cadence leur hébreu, seuls banquiers de l'époque, abominables usuriers qui prêtaient des fonds aux seigneurs ». Peu après leur départ, la rue va changer d'aspect et prendre le nom de rue de la Tisserie car y logeaient et y travaillaient des artisans fabriquant des « droguets » de réputation nationale. Cette rue ravagée par le grand incendie de 1752 jugée incommode pour la Grand'rue a failli disparaître du plan de la ville. Les tisserands ont cessé leur travail à la fin du XIXe siècle, mais aujourd'hui elle porte toujours le nom de l'activité passée et les retraités qui l'habitent peuvent réchauffer leurs rhumatismes à son soleil et rêver des belles châtelaines et des jouvenceaux qui cachaient leurs premières amours dans les sentes buissonneuses qui dégringolaient du château féodal tout proche, ou sourire aux facéties de Cadet Roussel qui logeait dans l'étroite maison au début de la rue...

La place aux vinsComme la rue de la Tisserie, la plupart des artères du vieil Orgelet ont conservé le nom de baptême d'il y a quelques siècles parfois. On peut citer les Places au vin et Marnix, les rues des Fossés, de la Glacière, de l'Ancien Collège, des Boucheries, du Château. Mais au fait qui connaît encore Marnix, descendant d'un secrétaire de la duchesse de Bourgogne, et qui ecclésiastique à l'abbaye de Saint-Claude a établi à
Orgelet vers 1720 les premières constructions du couvent des Capucins ? Et qui se souvient encore que sur la Place au vin, les vignerons du bas pays s'installaient pour vendre leur vin et qu'ils acquittaient cinq sols par baril ?

Qui pourrait de nos jours retrouver cette cave voûtée et obscure rue de la Glacière, dans laquelle on entassait l'hiver la glace qui servait à combattre les épidémies ; qui se serait imaginé que la rue des Fossés évoque les remparts de la ville tombés à la fin du XVIIe siècle et que les fossés qui les bordaient, de la Place au vin à l'église ont été comblés créant ainsi un très mauvais chemin. Pourquoi conserver une rue des Boucheries alors qu'il y a fort longtemps qu'elles n'existent plus... Passons encore pour la rue du Château car il y a fort longtemps que les Orgeletains ont décidé de monter « au château » et rarement au Mont-Orgier et pour la rue des Prêtres, car il y a quelques années déjà que l'ecclésiastique en fonction a quitté sa cure, située dans cette rue, pour trouver demeure à l'ancien couvent.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 4 mars 2001