Quand la plupart des écoliers ne faisaient pas d'études du second degré
Il y a plus d'un siècle, était affiché à l'école de garçons - les classes n'étaient pas encore mixtes - un tableau d'honneur sur lequel figuraient les noms des élèves qui avaient obtenu des diplômes ou reçu des récompenses de l'enseignement primaire. Au cours des travaux de restructuration du collège a été retrouvé un de ces tableaux d'honneur daté de 1879 à 1890 des garçons à l'âge où leurs études primaires sont terminées, c'est-à-dire 13-14 ans pour la plupart voire même 15 ou 16 ans. Pour certains, acquérir le certificat d'études primaires semble être la panacée universelle tant pis si pour cela, il faut abuser du redoublement.
Il faut bien se rendre aussi à l'évidence, le certificat d'études permettait d'envisager certaines carrières dans la fonction publique et plus égoïstement auréolait de gloire l'élève, l'instituteur et les parents car chacun sait bien qu'un succès prouvait l'intelligence du rejeton et un échec l'incompétence de l'enseignant. Mais surtout ne dévaluons pas le certificat d'études car jusqu'au tiers du XXe siècle, les cinq fautes en orthographe entraînaient un zéro et l'échec... Qui les éviterait ces cinq fautes à l'époque actuelle? Peut-être les redoublements sont excusables.
Avant les lois Jules Ferry de 1881 qui établissent entre autre l'obligation scolaire jusqu'à 13 ans, les enfants des familles nombreuses, dès l'âge de 10 ans, quittaient l'école à Pâques et n'y revenaient qu'à la Toussaint, passant presque six mois «au service» chez un cultivateur, pour garder les troupeaux.
Reprenons donc ce tableau d'honneur pour constater qu'en dix ans 92 élèves ont été diplômés, 9 du concours cantonal avant les lois Jules Ferry, 83 du certificat d'études après 1881. Donc chaque année la moisson de cet examen est riche avec une année exceptionnelle : 1883-84 puis 21 élèves obtiendront leur diplôme... On peut se féliciter de ces résultats et pourtant obtenir son certificat ne signifiait pas pour autant continuation des études qui coûtaient chères. Et s'il existait un concours des bourses, deux seuls élèves sur les 92 ont passé cet examen et sont devenus boursiers.
A la sortie de l'école primaire actuellement, chaque élève entre au collège, au lycée ou en école technique. Pas avant le XXe siècle puisque dix-huit seulement sur 92, soit 19,5% ont obtenu un brevet de capacité qui permettait d'envisager des profesions plus lucratives surtout dans la fonction publique. Parmi ces privilégiés on dénombre douze instituteurs dont cinq seulement ont réussi le concours à l'école Normale, trois ont préféré l'administration des contributions directes, trois celle des postes. On note aussi que les autres, ceux qui se sont contentés d'un certificat d'études ont choisi d'être artisans : un charpentier, deux menuisiers, deux plâtriers-peintres, un forgeron, un charcutier ou bien commerçants au nombre de cinq ou cultivateurs : 4 ; l'armée attire aussi : 9 se sont engagés volontaires. Les ouvriers, titulaires du certificat sont peu nombreux, ils sont 4 et travaillent aux tanneries une des activités phares d'Orgelet. Enfin, pour que le tableau soit complet, il faut mentionner qu'un élève a été admis au Prytanée de la Flèche (Sarthe) espèce d'établissement secondaire militaire, un à La Martinière à Lyon, un au lycée de Lons-le-Saunier. Et puis, il faut signaler trois reconversions imprévues : trois instituteurs qui ont abandonné l'enseignement - deux pour une carrière militaire, un pour un retour à la terre.
Peut-être ces trois enseignants «déserteurs» n'ont ils pas admis que même après la laïcisation, les conseillers municipaux testent la capacité des instituteurs bien qu'ils ne soient pas tous aptes à juger de leur talent pédagogique ou bien n'ont-ils pas accepté que leur valeur et leur notoriété soient directement proportionnelles à la quantité de devoirs à faire le soir à la maison et de leçons à apprendre pour le lendemain ?
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 11 novembre 2001