Hiver 1939-1940, au cours complémentaire
Le collège qu'on appelait cours complémentaire accueillait pendant l'hiver 39-40 les élèves originaires de la cité mais aussi ceux de Saint-Julien, d'Arinthod et de Moirans, car il n'existait pas encore d'établissement de ce genre dans ces trois cantons. Deux cents adolescents filles et garçons dont la moitié était interne, fréquentaient ce cours complémentaire. Depuis septembre, la France était en guerre. Le directeur - on ne le désignait pas encore sous le nom de principal - M. Pegeot, capitaine de réserve, était sur le front aussi Mme Golay, fraîchement sortie de l'École Normale le remplaçait pour l'enseignement des mathématiques et des sciences, Mlle Hauser, une demoiselle plus âgée barbue comme un sapeur, réfugiée alsacienne, tâchait d'intéresser les élèves à l'étude de l'allemand, M. Curtil les éduquait en français et en géographie et Mme Pegeot en histoire.
Cet hiver 39-40 fut d'une monotonie sans pareille pour les élèves du cours complémentaire. Que faire au cours de ces jeudis rigoureux et enneigés sinon ressasser pour soi des règles de grammaire compliquées ou résoudre des équations algébriques difficiles, alors qu'aucune association locale ne propose une quelconque activité, que le terrain de football est impraticable, qu'aucune salle n'est mise à la disposition des collégiens pour jouer au ping-pong et briser d'un coup cette oisiveté sportive. On ne pouvait même pas pour se divertir, à l'aide d'épingles piquées sur une carte de France, suivre l'avance ou le recul des années belligérantes puisqu'on vivait la « drôle » de guerre et que les troupes franco-anglaises figées derrière la ligne Maginot attendaient, sereines, que l'ennemi se décidât à l'attaquer.
Mélancolie et monotonie
Passe encore pour les externes qui se retrouvaient parfois, filles et garçons chez l'un d'entre eux mais quelle vie de moine pour les pensionnaires qui n'avaient que la cour glaciale et la salle d'étude pour se réfugier ou bien le jeudi après-midi promener leur ennui dans des balades - procession. Étrange cortège d'ombres en pèlerine, déchiré parfois par quelques amateurs de boules de neige, immédiatement sermonnés et menacés par le pion... Obéissance passive par contre chez les filles, bien alignées, muettes ou fredonnant quelques chansons à la mode, inattendues de ce cortège qu'on pensait mortuaire et où une Dies irae ou un De profundis aurait été plus logique.
Heureusement, que parfois, ces jeudis de décembre 1940, quand la neige tombait à gros flocons quelques externes garçons venaient retrouver leurs camarades pensionnaires de 3ème pour disputer un match de football sous une des galeries exiguë comme un vestibule, haute de plafond en forme de voûte, percée de fenêtres sans vitre où s'engouffrait la bise glaciale. Le ballon semblait un boomerang qui circulait avec la rapidité d'une balle de ping-pong, écrasant les murs de son cuir mouillé qui laissait des empreintes. Pas de sifflet d'arbitre, la voix de stentor du directeur trop importuné par les hurlements cacophoniques faisait fuir les externes. Parfois quand apparaissait un timide rayon de soleil, rendezvous était pris dans la cour du bas, beaucoup plus large qu'aujourd'hui pour disputer, sans passion, un match de basket, ou dans la cour intérieure où était tendu dans un filet pour une rencontre opposant les internes aux pensionnaires au volley.
Alors puisque c'était la guerre, on rêvait oh ! si se révélaient au cours des combats des Bayard, des Chevalier d'Assas, des Guyenemer et des Fonck, mais rien, l'immobilisse alors on s'enlisait dans des monotones habitudes : obstruer les fenêtres le soir, quand la nuit tombait, s'engouffrer dans les caves cataccombes en cas de future alerte aérienne, manger les biscuits vitaminées offerts à quatre heures; correspondre avec un filleul de guerre, tricoter des passe-montagne, occupation réservée exclusivement aux filles.
André Jeannin
Article paru dans le Progrès du 3/1/1999