Les hôtels-restaurants d'autrefois
Avant la Révolution française de 1789 étaient installés à Orgelet un grand nombreux d'aubergistes, parce que la ville a un rôle administratif, économique et judiciaire très important. En effet, elle est le siège d'un tribunal de bailliage dont la compétence s'étend sur près de deux cents communautés approximativement les cantons de Saint-Julien, Arinthod, Saint-Amour, Clairvaux et Orgelet. A côté du lieutenant-général, vit une bourgeoisie aisée d'avocats, de procureurs, d'huissiers. Comme les communications ne sont pas aisées, tous ceux qui attirent les affaires et les procès, hantent les hôtels et les auberges qui diminueront évidemment quand la Convention, en 1795, reléguera Orgelet au simple rang de chef-lieu de canton.
Cependant, dans les années 20, par suite d'un essor économique et en particulier de la renommée des Tanneries, on compte 22 débits de boisson et quatre hôtels-restaurants dont on retrouve trace sur des enseignes bien défraîchies.
Le plus ancien, l'hôtel Prat qui occupe une grande maison de la rue du Faubourg a laissé peu de souvenirs ; sur la place au Vin l'hôtel Thévenet, un grand bâtiment aux nombreuses chambres et avec une salle à manger pour banquet s'ouvrant sur un balcon sur lequel apparaissaient assez souvent des personnalités en chemise blanche et habit noir ou des pompiers locaux ou des musiciens de la Fanfare municipale en vêtement d'apparat, qui fuyaient pour quelques minutes les bruits, les odeurs, les fumées des ripailles. L'hôtel de Paris, rue des Fossés avait dû passer un pacte avec le petit train qui ne sifflait et ferraillait sur les rails uniquement aux heures où les chambres étaient inoccupées. Sur la façade derrière, un petit balcon évoquait celui de Juliette et les Roméos orgeletains espéraient y voir apparaître quelque accorte serveuse.
Au bourg de Merlia, l'hôtel du Cheval Blanc qui galopait sur la grande enseigne, puis à quelques pas l'Hôtel Bertrand. Ils étaient le rendez-vous des maquignons les jours de foire et ils étaient dirigés tous les deux par des hommes de poids qui s'asseyaient sur deux sièges et paralysaient les serveuses par leur voix de stentor.
Tous ces hôtels-restaurants ne dépasseront pas les années 50. L'hôtel du Cheval Blanc n'échappa pas, le 11 juillet 1944, aux incendiaires allemands, car s'y réunissaient les résistants dirigés par le propriétaire Albert Collomb, qui avec son épouse Raymonde exploita pendant quelques années l'hôtel de Paris avant la construction de l'hôtel de la Valouse.
La propriété Papillon fut choisie pour un emplacement, un grand parc ceint de hauts murs où s'élevait déjà une importante maison bourgeoise. En 1951-52 la construction est achevée. La façade du côté de la rue des Fossés s'éclaire d'une triple rangée de fenêtres, en voûte au rez-de-chaussée, rectangulaires au premier étage, avec fronton au second. Le hall d'entrée conduit, à gauche, à la salle à manger, vaste lumineuse dotée d'une cheminée monumentale, à droite au « café » bar d'un énorme bar. De grands escaliers grimpent aux chambres confortables ou dégringolent dans les sous-sols où se trouve entre autre une salle de jeu avec ping-pong et billard.
Bien vite sous la férule de Albert et Raymonde bien secondés par le chef Bardin, l'hôtel-restaurant de la Valouse deviendra un haut-lieu de la gastronomie jurassienne, confirmée par le Livre d'Or des Maîtres Queux : « cette auberge rustique s'agrémente d'une très bonne table appréciée par les pêcheurs de truites, les chasseurs de bécasses et les Lédoniens gourmands ».
Rien d'étonnant alors que le Livre d'Or du restaurant soit riche des compliments signés des hommes politiques des personnalités et des vedettes du spectacle de l'époque : Edgar Faure bien sûr qui assistait à l'inauguration ; les soeurs Etienne duo magique de l'après-guerre, Philippe Nicaud vedette du cinéma qui avec humour avoue aux propriétaires : « vous avez de la chance de déjeuner et de dîner tous les jours chez vous », Verschuren, Marcel Azzola les accordéonistes, Manuelas de la Plata le guitariste, John Williams, mais aussi Jacques Godet le directeur du Tour de France cycliste, le Roi de la Haute-Volta ; Robert Manuel qui affirme « que désormais pour lui Orgelet ne voudra pas signifier quelque chose à l'oeil, mais un déjeuner délicieux ». Le responsable de l'orchestre Medinger dans sa chambre deviendra poète : «Tout comme la Perouse, arrivant dans le Pacifique, nous découvrons l'hôtel de la Valouse, au milieu de ce Jura magnifique, bon gîte, accueil souriant, mets délicats et vins troublants...
Enfin fermons le Livre d'Or en lisant Jeambrun, noter sénateur jurassien « ce n'est pas Christophe mais Albert... Collomb qui nous fait découvrir les rivages enchanteurs de la gastronomie jurassienne ».
André Jeannin
Article paru dans "le Progrès" le 8/11/1998