La mémoire des grottes

A droite, la corniche où s'enfonce la grotte du chien

La région orgeletaine est de nature calcaire et évidemment tout le paysage est riche en accidents karstiques : lapiés, dolines, entonnoirs, qui cisèlent le sol ; sources résurgences qui accentuent le camailleux de ses verts. Il s'y rencontre aussi de nombreuses grottes et dans les premières années du siècle, elles étaient fort visitées par les jeunes Orgeletains et les promeneurs du dimanche. Tout d'abord à la base d'une petite corniche du mont Ogier, dissimulée par une escouade de pins et cernée d'énormes buis et urticants genévriers, s'ouvre une grotte ou plutôt une excavation où l'on pouvait en se serrant un peu, trouver refuge pour quatre ou cinq. On y pénétrait après avoir emprunté une sente pentue, bosselée de moignons rocheux et tapissée d'aiguilles glissantes de conifères. Cette cavité très près de la localité n'était connue que par quelques garnements qui auraient pu la baptiser « Grotte de l'émancipation ». C'était là, en effet, qu'à onze ans, le garçon pour la première fois conduisait sa première « bonamie » et que le couple rougissant et fort emprunté faisait ses premiers serments et échangeait ses premiers baisers... sur la joue. Cependant accepter pour la fille, le rendez-vous à la grotte était la preuve que le garçon ne lui était pas indifférent.
C'est aussi dans ce lieu qu'on fumait la première cigarette tirée du paquet des cinq « Parisiennes » . Elle faisait le même effet que ces pommes maraudées, toutes vertes encore, mais bien meilleures que celles cramoisies du panier à fruits. Et pourtant ce tabac était fort, le papier rêche, la fumée urticante, mais se savoir fautif effaçait tout ! Cette grotte connue de quelques privilégiés seulement imposait un pacte entre eux de ne jamais révéler son emplacement et le copain ou la copine accueilli devait jurer de garder le secret, si bien qu'aujourd'hui beaucoup d'Orgeletains ne connaissent pas son emplacement... c'est toujours un secret... motus

L'histoire et la légende
Entrée de la grotte à VarrozPlus éloignée de la cité de Cadet Roussel, la seconde grotte s'ouvre dans une haute corniche qui domine le lac de Vouglans au Pont de la Pyle comme par une porte de cathédrale ou mieux comme l'âtre volumineux des châteaux moyenâgeux avec une sorte de large cheminée qui n'a pu percer le plateau. Invisible de la route, il faut s'accrocher aux buissons et aux arbustes, pour atteindre par une sente courte, pentue et caillouteuse, un hall spacieux d'une cinquantaine de mètres dont le toit voussé et sculpté par les infiltrations s'abaisse progressivement tandis que les parois rocheuses se resserrent. Il se termine par un boyau très étroit dans lequel ne peuvent se glisser que les visiteurs sveltes. C'est d'ailleurs à cause de ces dimensions qu'on a baptisé cette grotte « Grotte aux chiens » parce que bas sur pattes, ils étaient asphyxiés par les émanations du gaz carbonique, s'ils pénétraient dans ce « couloir de la mort ». Est-ce pour la même raison que les garçons qui, le jeudi, allaient « à la Cure » et qui sous la conduite de l'Abbé, apôtre de la spéléologie, entraient, fanfarons, dans la grande salle la grotte, après une courte reptation dans le boyau, paniqués par l'étroitesse et l'obscurité, malheureux néo-spéléologues non mytalopes, décidaient d'une retraite-capitulation et ressortaient à la lumière en imitant la progression des écrevisses ?
Mais la grotte la plus visitée autrefois et de nos jours, plus par les adolescents et les grandes personnes que par les enfants parce qu'elle appartient au domaine de l'histoire et de la légende est la Grotte à Varroz. Elle s'encastre dans un plateau calcaire à peu de distance de la précédente, comme une énorme cicatrice laissant apercevoir le derme du sous-sol, - quatre ou cinq dalles de pierre inclinée - qui aboutissent dans une salle cernée de rochers bombés dont l'un est bordé d'une espèce de passerelle qui conduit on ne sait où, là où probablement s'est enfui Lacuzon. Car c'est dans cette grotte, que se réfugièrent poursuivis par les Gris, mercenaires du Duc de Weimar au source de la France, les chefs héros de la résistance franc-comtoise pendant la guerre de dix ans (1636 à 1646). Le répit fut de courte durée les Suédois avaient retrouvé facilement la trace des fugitifs. L'assaut fut repoussé à l'épée par Varroz, moribond tandis que Lacuzon désamorçait toute les cartouches pour se faire sauter avec les Gris ; or l'explosion disloqua la corniche et ouvrit un couloir qui débouchait sur le plateau et permit à Lacuzon de fuir. Fuite miraculeuse, légendaire bien sûr, mais les visiteurs de la grotte rêvent encore de ces lointains héros de cette épopée franc-comtoise.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans "Le Progrès" le 28 mars 1998