Au Pont de la Pyle jadis : baignades, pêche, fête champêtre
L'article souvenir de dimanche dernier avait évoqué les jeunes gens des années 30, profitant de l'échancrure un peu plus osée des maillots de bain féminins, mais ce n'était qu'un dérivatif très éphémère car ils étaient venus au Pont de la Pyle pour profiter au maximum de la rivière d'Ain.
Ils s'étaient déshabillés derrière les buissons et avaient revêtu le caleçon de bain, pièce unique qui recouvrait le torse et descendait jusqu'aux genoux et, comme la mode était au tissu rayé, ils ressemblaient à des zèbres ou des bagnards.
En ce début de siècle, le bain était privilégié, la nage était un «surplus». Et si l'on préférait l'Ain à la Valouse il le devait à la profondeur de ses eaux, qui permettaient tout en ayant pied, de ne laisser émerger que la tête. D'ailleurs la tradition voulait que les conscrits se fassent photographier en groupe dans cette position.
Quelques années plus tard, la nage prime sur la baignade, le sport sur les divertissements et le maillot devient slip de bain. Traînent encore dans les eaux proches de la rive, les apprentis nageurs trop timorés et pas assez sûrs d'eux pour s'aventurer et qui essaient de peaufiner la coordination de leurs mouvements dans le courant au milieu de la rivière, en eau profonde évoluent les «champions» dont on n'aperçoit que la tête et le moulinet des bras. Ils se lancent dans des sprints effrénés, ou progressent plus lentement en revenant vers l'amont.
Et puis, derrière le pont, là où surgit une petite île boisée qui a sectionné la rivière en deux bras, les intrépides peu nombreux, se moquent du danger des eaux profondes, d'un violent courant et surtout de traîtres tourbillons de fond qui ont donné une sinistre réputation à ce «gour Paimbeuf» où se sont noyés plusieurs imprudents. Sont-ils plus sages les jeunes qui profitent des deux plongeoirs «le haut et le moyen». L'apprentissage est long avant de réaliser un plongeon réussi et les «plats» résonnent comme un coup de fusil; seuls ceux qui persévéreront amélioreront leur technique et deviendront des spécialistes. Un ou deux parmi eux, trouveront trop monotones, car risque ces sauts à «basse altitude» alors, ils voudront s'élancer de bien plus haut et pourquoi pas du pont dont la rembarde domine la rivière de douze mètres.
Ils ont pris des précaution: apprécié la profondeur, relu la position des rochers; alors sous les regards inquiets de gens sur la plage, avec une certaine appréhension, ils se sont envolés bras tendus puis retombé rapidement, brisant l'élément liquide dans lequel a disparu pendant quelques secondes mystérieuses et angoissantes et puis soudain, le applaudissements qui éclater saluent l'émersion du champion qui vient de réaliser un exploit qu'il n'accomplira pas très souvent; le goût du risque a se limites.
Pendant la belle saison, la plage du Pont de la Pyle est délaissée par les pêcheurs qui préfèrent accoster sur la petite île entre les deux bras de la rivière où ils peuvent se rendre et retroussant leurs pantalons. En bordure se plaisent les perches qu'ils capturent avec pour leurre une espèce de crevette trouvée sous les pierres dans la rivièvre.
Mais s'ils surveillent les danses du bouchon, ils observent souvent le niveau des eaux, car un panneau, à proximité, signale une crue très rapide, toujours possible quant on «lâche» Chalain alors, les pêcheurs surpris s'ils ne savent pas nager joueraient à Robinson Crusoé sur cet îlot.
Tout au début du siècle, le Pont de la Pyle était le rendez vous des Orgeletains le jour du 14 juillet. Les messieurs en complet noir ou clair mais portant presque tous le chapeau de paille, les dames drapées de longues robes claires quittaient les tilburys qui les avaient amenés et tandis que les hommes libéraient les chevaux pour qu'ils puissent paître dans un champ à l'ombre, les femmes se dispersaient sous l'énorme chêne pour préparer le pique nique qui durerait jusqu'à l'arrivée vers les trois heures de l'Harmonie municipale orgeletaine qui marquerait le début de la fête champêtre suivie du bal populaire qui se prolongerait tard dans la nuit.
ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans "Le progrès"