Sports hivernaux dans les années 1930
Un jour, un vieil Orgeletain, invité par une institutrice vint dans la classe évoquer les hivers de son enfance et des jeux en cette saison.
En ce temps là, le ciel était plus généreux en flocons. Il en tombait presque tous les jours d'hiver et la bise qui soufflait, froide, formait une carapace blanche épaisse. Il fallait bien vivre et se divertir avec elle. Les enfants se chaussaient de gros sabots qui bien vite au lieu de rester un élément de chaleur et de sécurité devenaient un matériel de jeu indispensable ; les écoliers se moquaient des engelures qui incendiaient les doigts de pied et des chutes sur le verglas, les sabots c'était en quelque sorte les patins à glace du campagnard qui permettaient de sensationnelles glissades. Ah ! oui, mais pas n'importe quels sabots, surtout pas ceux, sous lesquels le père avait cloué une semelle en caoutchouc de pneu pour qu'ils durent plus longtemps. Avant chaque début de jeu, il y avait présentation des sabots, comme le footballeur, actuellement montre ses crampons à l'arbitre de touche avant d'entrer sur le terrain.
La présence sur le bois du moindre vestige de clous courts et à tête large éliminait de suite le propriétaire qui sans protester allait grossir le rang des «ferrates» frappés d'ostracisme. Il était donc privé de toutes les glissades, celle qui à l'école partait de la porte d'entrée sur la cour et se terminait contre le mur surmonté d'une barrière et qu'autorisaient les instituteurs de jadis, au risque de voir se fracasser les sabots; celle très pentue qui conduisait à la cour du bas et sur laquelle ne s'aventuraient que les écoliers doublement audacieux parce qu'ils risquaient la chute grave et surtout parce qu'ils pouvaient être surpris par le «maître» et punis, cette glissade là étant formellement interdite ; enfin, toutes celles rapidement tracées dans les quartiers et rapidement ensablées par les piétons.
Si les glissades passionnaient les spécialistes de l'équilibre debout ou à cropeton, l'activité loisir préférée de l'hiver était le traîneau, un engin lourd, massif, grossier fabriqué par le «manuel» de la famille avec des montants costauds bardés de larges fers plats. Plus légères et plus esthétiques étaient les luges avec leur plancher en lanières de bois et leurs ferrailles rondes; elles étaient à l'époque déjà «un léger signe extérieur de richesse» mais comme elles étaient moins rapides que les rustiques traîneaux on les dédaignait pour chevaucher les bolides qui ne pouvaient être matés que par les champions comme le cheval rétif l'est par le maître cavalier. La pente des exploits, des records de vitesse était celle qui du Mont-Orgier basculait sur la place au Vin, enserrée par les murs des jardins. Elle demandait la technique confirmée des professionnels, le coup de pied rageur pour dompter l'engin récalcitrant, une témérité pour amorcer le virage qui propulsait le traîneau sur la place avec l'espoir de n'y pas rencontrer une auto - il y en avait fort peu à cette époque... On ne déplorait aucun accident grave et pourtant on augmentait les risques quand le bolide chargé de trois garçons était guidé par un camarade chaussé de grands sabots plats de jardiniers à cropetons derrière le traîneau ; quand la piste était verglacée à cause de l'eau répandue sur elle, le soir par les garnements et qui avait gelé pendant la nuit, ainsi étaient réduits à néant les sablages pervers du garde-champêtre Gamahut et de personnes insociables.
Pour les novices et les amateurs, la côte à Pampin au bas du pont de Vaux offrait sa pente pas trop raide et rectiligne.
Mais la trouée de la haie qui permettait le passage sur la route était si étroite qu'une facétie d'un traîneau espiègle projetait son conducteur dans les buissons épineux, ou bien alors une bosse traîtresse perturbait le garçon et la luge glissait très vite en diagonale et offrait un bain glacé dans le ruisseau qui longeait le pré.
Les jeunes scolaires à cette époque, ne pratiquaient pas le ski ; seuls leurs aînés tâchaient de descendre de faibles pentes avec au pied des douves de tonneau et un peu plus tard des skis très lourds aux montures peu fonctionnelles qui refusaient de quitter le pied au moment des chutes : les conséquences pouvaient être graves !
André Jeannin
Article paru dans "le Progrès", le 28 décembre 1997