Quand les jeunes garçons défendaient leur territoire

Dans sa « Guerre des boutons » Louis Pergaud raconte la rivalité qui oppose les garnements de Longeverne sous l'autorité du « grand » Lebrac et ceux de Velrans commandé par l'Aztec des Gues. Guerre d'écoliers entre deux villages voisins... mais à Orgelet dans les années 30, les garçons jusqu'à douze ans se détestaient entre quartiers et défendaient becs et ongles leur territoire... commandés par un chef et un sous-chef qui n'avaient rien à envier à ceux de la Guerre des boutons, fidèles à l'adage « Comtois rends-toi, nenni ma foi ».

Danse du scalp chez les "Iroquois du faubourg"En ces années 1930, la ville qui n'avait pas encore ses quartiers périphériques était sous le joug de quatre clans. Il y avait d'abord les garnements du Faubourg qui se baptisaient les Iroquois. La limite de leur territoire n'était plus les remparts disparus depuis deux siècles mais la voie ferrée sur laquelle se tortillait le tacot, Place au Vin. A l'opposé leur zone de chasse était constituée par une plaine « En Vallière » qui butait sur une corniche rocheuse du Plateau du Mont, percé de lésines d'entonnoirs, ponctué de bosquets avec des massifs de noisetiers formant rempart et des ronces épineuses. C'était là, à l'abri des regards, que les Iroquois du Faubourg avaient monté leur campement, des toiles de tentes constituées d'un vieux drap de lit chipé chez les parents.

Pour entrer dans la tribu, il fallait d'abord demeurer au Faubourg mais aussi, au cours d'une cérémonie à laquelle assistaient tous les membres, jurer fidélité en levant la main sur un crâne, en l'occurrence un crâne de chien ou de mouton récupéré dans le tas d'ordures déposées à cette époque au Champ de foire. Et puis, à la fin de la cérémonie on allumait un feu et on fumait le calumet de la paix, quelques « vailles » lianes creuses des clématites.

Evidemment certain jeune clandestin puisqu'ils habitaient Orgelet pensaient avoir le droit de s'aventurer Rue du Faubourg. Capturé par un groupe Iroquois, conduit sous une bonne escorte près des tentes il était attaché au poteau de torture, condamné à être scalpé et tandis qu'un ennemi, torse nu, brandissait la lance et le tomawak et qu'un autre vêtu de plumes commençait une danse du scalp, le prisonnier soudain inquiet se demandait pourquoi le Bébert et le Coulis qu'il connaissait bien étaient soudain pris de transes et s'ils allaient vraiment lui mettre la cervelle à l'air...

En tout cas il restait attaché fort longtemps et enfin libre, jurait de ne pas remettre les pieds au Faubourg... Le supplice enduré n'était rien à côté de celui supporté par un Iroquois parjure qui entraîné dans les caves obscures d'un marchand de vin en gros en ressortait une heure après, hagard, fourbu mais ne révélait rien car il avait juré de ne rien dire sinon...

A l'autre extrémité d'Orgelet à la Grande Rue, là où dans les années 1930 vivotaient de nombreux cultivateurs, les tout jeunes « campagnards » se considéraient comme des parias parce qu'ils n'avaient pas la liberté de jouer comme et quand ils le voulaient. Contraints de participer à quelques travaux de la ferme en particulier garder les vaches au pâturage, ils passaient la plupart de leurs loisirs dans les champs, ne sachant que faire ; et à force de vivre avec leur troupeau, ils avaient pris le mutisme et la placidité des animaux.

Piètres joueurs, ils se désintéressaient des autres quartiers de la ville et ne s'aventuraient en groupe qu'au Chemin de Plaisia qui longeait le flanc nord du Mont Orgier où ils rencontraient inexorablement la troupe des « geais » les garçons du village voisin surnommés ainsi parce qu'à l'automne les habitants piégaient ces oiseaux à la « pipée »...

Alors on était en pleine guerre des boutons. Pleuvaient les quolibets et les coups, volaient les pierres... et quand les garnements s'étaient bien tabassés, meurtri., ils fuyaient chacun de leur côté, une fuite tactique de héros victorieux, ils le croyaient, en attendant un prochain combat !

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 14 décembre 1997
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