Quand les filles jouaient au basket
Dans les années 30, le sport était l'apanage des garçons. On évitait aux filles considérées comme physiologiquement plus faibles, les mouvements violents. Aussi la gymnastique scolaire était une répétition d'exercices tranquilles, axés vers l'acquisition de la souplesse, de la grâce qui les préservaient d'une probable scoliose. Comme aucune ne rêvait de devenir une étoile de la danse, l'école quittée, elles abandonnaient toute gymnastique pour se consacrer à la lecture, aux promenades, aux travaux ménagers. Les jeux des scolaires filles à cette époque ne demandaient pas beaucoup d'efforts physiques.
Passons encore pour le saut à la corde qui avait peut-être le mérite d'affermir les muscles des cuisses, d'ailleurs il était difficile de s'en rendre compte cette partie de l'individu devant être impitoyablement caché. Quant au divertissement de la marelle (la «culotte» comme on l'appelait), on pouvait pousser du pied la tuile, pendant une journée sans être essoufflé. Parfois, les plus sportives qu'on traitait immédiatement de «garçons manqués» participaient aux jeux de guerre de leurs camarades et n'hésitaient pas à manier la factice épée de bois ou bien s'évadaient sur une bicyclette de dame pour une courte randonnée, ayant bien soin que la longue jupe ne se retrouve pas trop haut à chaque coup de pédale.
C'était cependant ces hardies cyclistes qui osaient descendre, tous freins serrés les dangereux lacets du pont de la Pyle pour se baigner dans les eaux émeraude de l'Ain, revêtant un caleçon qui ressemblait plus à un pyjama qu'à un maillot de bain.
Et puis pendant les années de guerre et légèrement après survint à Orgelet comme ailleurs un grand changement : la fille adolescente ne fut plus cette poupée fragile comme la porcelaine, elle se masculinisa et n'hésita plus à porter le pantalon ou passer un short pour s'adonner à quelques exercices physiques. Elle ne se soucia plus des réflexions venimeuses des rosières défraîchies ou du qu'en dira-t-on. C'est à cette époque qu'apparurent pour la première fois dans la localité des équipes féminines de basket-ball. Pourtant cette discipline n'a jamais enchanté particulièrement les Orgeletains et s'il y eut jadis une équipe masculine du Cercle catholique baptisée les «Trois épis», elle n'eut qu'une existence éphémère!
Donc en 1942, se constituèrent deux équipes de basket, l'une scolaire avec les élèves de 3e du collège, l'autre dépendait de l'Union sportive du président Theron dont le nom apparaît encore au-dessus d'une des portes latérales de la Grenette. L'équipe du collège entraînée par un élève de 3e Claude Broutechoux qui mourra en déportation, ne disputa que des rencontres interscolaires, en particulier contre le collège de Saint-Amour (il n'y avait pas encore à l'époque de com-pétitions USEP ou UFOLEP).
Les matches étaient homériques, les crêpages de chignons très courants, ce qui explique probablement la très brève existence de ce sport. L'équipe de l'USO formée d'éléments plus âgés était assidue aux entraînements à la salle de la Grenette ou au stade, assuré bien souvent par M. Tschaen responsable du sport au collège. Elle participa pendant un ou deux ans aux différents tournois de la région et cette équipe connut son jour de gloire quand elle remporta brillamment le tournoi de Champagnole. Hélas, à 20 ans et plus les filles ont autre chose à penser qu'au basket et faute de joueurs il n'y eut plus d'équipe.
Cependant certaines sportives purent pratiquer la gymnastique. A la Grenette baptisée Gymnas tous les appareils d'une grande salle existaient : cordes, échelles à noeuds, agrès, barres fixes, barres parallèles, cheval d'arçon. Dirigées par un athlète sanclaudien, Paul Bouillet quelques filles montrèrent de réelles aptitudes. La gymnastique devint alors une mode, une passion et les plus douées juraient que même mariées elles n'abandonneraient pas la gymnastique. Difficile tout de même de la pratiquer quand s'arrondit le ventre... et la gymnastique cessa.
Aujourd'hui les filles dès le plus jeune âge pratiquent une multitude de sports: tennis, VTT, athlétisme, natation et bien d'autres encore et elles se moquent pas mal de la vision désabusée de Monther-lant sur les jeunes filles sportives. Elles ont bien raison.
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 23 mars 1997