Dans les années 1930, les jeux de garçons

Combien de fois entend-on aujourd'hui cette réflexion des personnes âgées frôlées par un jeune cycliste audacieux : « ces enfants, ce sont de véritables casse-cou, ils étaient plus calmes autrefois ». Plus calmes ? Parce que la discipline à l'école était peut-être plus stricte, parce que l'obéissance aux parents était plus évidente mais les avez-vous vus en train de se défouler les gamins des années 1930, au risque de se rompre le cou ?

Le château, lieu privilégié des jeux des garçonsLe terrain de prédilection pour les loisirs casse-cou était « le château ». Là, pendant l'été, le jeu favori était le saut en parachute. Pas besoin d'avion pour cet exercice, il suffisait de trouver de jeunes frênes élancés, flexibles à souhait, dont on grimpait jusqu'au sommet, on agrippait fortement la cime et on se jetait dam le vide. Quelle joie mêlée d'une certaine appréhension quand on se balançait dans les airs au rythme des oscillations de l'arbre, c'était en quelque sorte un mini-saut à l'élastique. Qui devenait dangereux quand le jeu devenait compétition, que le frêne choisi était de plus en plus haut, l'ascension de plus en plus périlleuse, le mouvement pendulaire de plus en plus ample et que lorsqu'il cessait, le concurrent restait suspendu à cinq mètres du sol et finissait par chuter, s'en tirant avec une cheville luxée ou le derrière transformé en pelote d'épingles pour avoir atterri dans un buisson de ronces.

Toujours au château, la corniche abrupte qui fait face à l'éperon rocheux où s'élevait encore un pan de mur de l'ancien château féodal permettait de tester son mépris du vide. Fanfarons, les adolescents feignaient l'indifférence quand ils se glissaient dans l'étroite crevasse qui s'ouvrait sur une plaque herbeuse, pentue et terriblement exigüe qui surplombait le précipice. Une malencontreuse glissade sur l'herbe mouillée et c'était la chute irrémédiable dans le vide... mais au moins l'honneur aurait été sauf, on ne passerait pas pour un poltron devant les camarades. Ne fallait-il pas être casse-cou au cours des jeux guerriers, pour se lancer à découvert, à l'assaut des « ennemis », les camarades bien à l'abri qui, avec leurs frondes, lançaient sur les assaillants des cailloux alors que seules les poires à Bon dieu et les « pelousses » étaient autorisées... Et la trêve n'était accordée que lorsqu'une arcade sourcilière avait éclaté.

Inconscients du danger, ils l'étaient ces adolescents qui, rue de la Glacière, multipliaient les sauts du haut d'un mur dans un jardin au sol dur. Le contact brutal avec le terrain résonnait en écho dans les reins et parfois les genoux heurtaient douloureusement le menton. L'imprudence devenait témérité quand les garçons dégringolaient la rue du château qui aboutit sur la place au Vin, en traîneau l'hiver, ou sur un tricycle à deux roues l'été. La pente était abrupte, peu large, enserrée entre les murs des jardins. les traîneaux très lourds, les bolides prenaient des vitesse vertigineuses et traversaient la place oubliant les autos, heureusement peu nombreuses.

Il y eut peu d'accidents parce que ces conducteurs phénomènes étaient les enfants du quartier, des virtuoses qui d'un rageur coup de pied modifiaient la trajectoire du traîneau comme ils le voulaient. Les autres, ceux des quartiers du bas, n'ont tenté qu'une fois la descente, leur spectaculaire cabriole les a dissuadés à jamais de recommencer. Pire de dévaler cette même pente sur un petit tricycle amputé d'une roue arrière. Tenir son équilibre jusqu'au bas était une prouesse et seuls deux ou trois spécialistes y parvenaient.

L'entrée de la grotte à VarrozCe qui était paradoxal chez les adolescents des années 1930, c'est que s'ils « s'éclataient » à la lumière, l'obscurité les paralysait, aussi ils n'avaient pas du tout l'âme de spéléologues. Deux grottes étaient particulièrement connues dans le proche environnement, celle de Varroz riche en souvenirs historiques, celle du Chat ouverte dans les rochers qui dominent le pont de la Pyle. Avec l'abbé au cours des promenades du jeudi, les garçons entraient dans les excavations munis de cordes, de lampes... Tous admiraient les stalactites des amples premières salles, mais aussitôt qu'il fallait ramper quelque dix mètres ou passer en équilibre par un couloir rocheux et à la seule lueur de la lampe pour atteindre d'autres pièces, c'était le refus catégorique ou le repli stratégique... L'exploration prenait fin par prudence.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru le 17 mars 1996