En montant sur le Mont dans les années 1930

Si nos grands-pères revenaient et décidaient d'aller se promener «sur le Mont», ils seraient stupéfaits : le chemin qu'ils emprunteraient, large, coupé de carrefours, bordé de coquettes maisons d'habitation, ne ressemblerait pas à celui qu'ils avaient connu.

En montant sur le MontCe «chemin du Mont» avant la dernière guerre s'étirait très étroit, pendant deux kilomètres avant de se perdre entre les buissons qui le bordaient sous la semi-obscurité des grands arbres à feuilles caduques de la forêt. A sa droite, à la place du lotissement des «Buts» s'étendaient les jardins Goutsolard, du nom du propriétaire qui louait des parcelles à de nombreux Orgeletains qui les travaillaient avec passion.

Le promeneur, à travers les palissades et les grillages, admirait, dans la rectitude des lignes, la richesse des productions, l'art du jardinier, ou bien remarquait, sans la juger trop sévèrement l'inesthétique des cabanes à outils. Par derrière, ces terrains s'appuyaient contre un champ bosselé qui basculait du côté de la Promenade de l'Orme et nourrissait quelques vaches pie rouge de l'Est.

A gauche, en direction de la route de Merlia, à proximité de la ville, le pré Sorlin était devenu terrain de football et les joueurs avaient tout loisir, après les matchs, de se laver avec l'eau d'une petite mare où le soir croassaient des grenouilles qu'essayaient de capturer les garnements du quartier de la Gare.

Orgelet, vue générale depuis le MontEt puis le chemin s'éloignait d'Orgelet, coincé entre l'étau de murettes en pierres sèches, éclaté par les racines de grands sapins et de peupliers en bordure, raviné par les multiples ruisselets qui zigzaguaient de toutes parts.

Quelque cent mètres encore à parcourir avec pour paysage de chaque côté, des champs cultivés où se doraient des céréales et où jaunissaient en automne les fanes des pommes de terre, avec pour horizon dans les lointains les chaînons du Haut-Jura et l'on débouchait sur un plateau aride, à l'herbe rase, encombré de buissons et de ronces, qui servait de parcours communaux fréquentés par les troupeaux.

On retrouvait en ce lieu la topographie des terrains karstiques avec les blocs de calcaire à nu, les diaclases et les dolines très profondes qu'on appelait «les entonnoirs» et dans lesquelles s'aventuraient parfois des garçons téméraires qui voulaient jouer aux spéléologues.

Orgelet vue depuis le MontPour parvenir à ces parcours il avait fallu escalader le Molard (petite éminence) à Goujon (nom du propriétaire), renoncer à partir sur un chemin qui cascade jusqu'au village de Merlia hésiter aux «Quatre Chemins» très connus des chasseurs, peu nombreux à cette époque, car les lièvres poursuivis par les chiens y passaient et repassaient, attendus par un fusil expérimenté.

Le chemin du Mont et les parcours n'étaient guère fréquentés par les écoliers orgeletains. Bien sûr les jeunes bergers gardaient les troupeaux sur les communaux, mais ils n'étaient pas rejoints par leurs copains pour déguster en robe des champs les pommes de terre maraudées, l'absence de clôture exigeant une surveillance perpétuelle et le «lieu» d'approvisionnement étant trop à découvert.

Pourtant, les garçons empruntaient ce chemin à deux sur une bicyclette parce que, horriblement bosselé, il devenait en le descendant, un épouvantable tape-cul qui provoquait d'étranges sensations physiques.

Orgelet, vue depuis le MontFréquentaient aussi ce chemin les chercheurs de champignons en quête de mousserons et de rosés des prés, les ramasseurs d'escargots qui, après une averse printanière, se pressaient d'arriver avant les autres pour se saisir des imprudents gastéropodes, les cueilleurs de framboises, de mûres et de noisettes.

Et si parfois quelques promeneurs en automne, après les premières gelées, s'arrètaient pour goùter l'âpreté râpeuse de la «plousse» ou l'acidité poilue du «gratte à cul», seuls les renards et les lapins affamés, trouant la neige de leurs empreintes, s'aventuraient sur le chemin du Mont, en hiver.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 3 décembre 1995