Quand les gendarmes patrouillaient à cheval
De nos jours, apercevoir circulant dans les rues, l'estafette de la gendarmerie est courant. Les gendarmes orgeletains disposent d'une caserne neuve, de bureaux spacieux et fonctionnels, de logements confortables, de vastes garages, d'un matériel de radio de plus en plus sophistiqué... Leur mission comprend de multiples facettes : prévenir, avertir, persuader ou dissuader, protéger, punir peut la résumer...
Mais au fait que sait-on sur la brigade d'autrefois ? Cette brigade de maréchaussée existait avant 1774, puisque c'est à cette date qu'elle a été supprimée, peut-être d'ailleurs parce que deux ans avant avait été créée une « compagnie bourgeoise; chargée de maintenir le bon ordre; ». Le maire de l'époque, peu satisfait avait alors essayé d'obtenir une nouvelle brigade composée « d'un exempt (officier de police) et de 4 cacaliers qui assureraient le bon ordre et la tranquilité publique que les coureurs de nuit vagabonds et gens sans aveu, autorisés par une espèce d'impunité ne manquent pas d'apporter »...
Ce n'est qu'en 1791 que réapparaîtra la brigade de gendarmerie avec pour la diriger François Levrat, ancien commandant de la garde nationale de la ville. Ce sera tout un problème pour loger, équiper et armer les gendames au service du directoire du district (porter les ordres aux communes de son ressort) et de la municipalité (veiller au maintien de l'ordre et de la sécurité), ce qui n'est pas évident en période révolutionnaire. D'ailleurs Levrat accusé de fédéralisme sera la première victime de l'épuration montagnarde... Arrêté, il put heureusement reprendre son service mais devra se plier aux ordres d'une municipalité dirigée par Vaillant qui par exemple lui ordonne « d'aller au devant du représentant du peuple Lejeune — nanti de tous les pouvoirs — avec ses gendarmes aussi loin que son zèle le lui dictera ».
En 1803, sous le consulat une aile du couvent des Bernardines sera transformée en caserne, celle que les gendarmes ont quittée en 1976. En bas, les écuries dallées, les caves, la prison (jusqu'alors elle était sous la mairie). Au premier deux bureaux exigus, des logements médiocres qui occupaient aussi tout le second étage.
Là vécurent pendant 173 ans les gendarmes dont chaque journée commençait par la sacro-sainte cérémonie de l'étrillage des chevaux. L'animal était lustré avec la même passion qu'un collectionneur éprouve à entretenir ses vases de Sèvres... Le toilettage terminé, le gendarme de service allait passer son uniforme que lui avait préparé son épouse, qui à cette époque n'avait pas le droit d'exercer un métier, serrait autour des mollets les sempiternelles leggings... et commençaient les patrouilles.
Leur principale occupation à l'époque était le contrôle des plaques d'identité et de l'État que devaient posséder tous les cyclistes, du système d'éclairage des bicyclettes (lampe à carbure ou dynamo), des permis de conduire et des cartes grises des rares automobilistes. Ils avaient aussi des fonctions nettement en recul aujourd'hui. Ils devenaient la nuit garde-pêche et rôdaient silencieusement au bord des rivières et des étangs pour débusquer les braconniers qui à la lanterne, au moment des frais pêchaient les grenouilles ou traquaient les truites.
Evidemment, ils arrêtaient les voleurs, vérifiaient les papiers de vagabonds, contrôlaient les permissions des militaires, aidaient les «; rats; de; cave; » à piéger ceux qui, dans le Bas Pays faisaient la contrebande de la «; goutte; ». Plus spécialement ils vérifiaient que les cafés respectent les heures de fermeture. Ils verbalisaient les contrevenants et le maire prenait des sanctions « Mlle Jacquet débitante à Orgelet n'a plus le droit d'organiser des bals publics dans son établissement, même sanction pour les cafés Midol et Thomas ».
Pendant le gouvernement de Vichy, la tâche des gendarmes n'était pas facile ; surtout quand on leur demanda d'obliger les jeunes à partir au STO ou à traquer les résistants. Situation cornélienne ! Obéir c'était se déconsidérer aux yeux des Orgeletains qui n'approuvaient ni les méthodes de Vichy, ni celles du maire local, Karcher ; refuser était dangereux : le chef Chamois préféra prendre une retraite anticipée ; le gendarme Decerle résistant sera assassiné le 11 juillet 1944 devant la maison Pomi ; l'autre gendarme résistant Desvignes, déporté, périra dans le feu et sous les balles allemandes dans l'épouvantable massacre (1016 victimes) de la grange de Gardelegen, quelques heures seulement avant l'arrivée de la 102e division d'infanterie américaine le 14 avril 1945.
André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès en janvier 1994