Qaund la fronde était l'arme privilégiée des Orgelétains

Il y a de cela une soixantaine d'années chaque enfant, à partir de 10 ans, désirait posséder sa fronde, pas celle qu'on pouvait acheter, avec un fourchon en fil de fer torsadé et un élastique cané, fragile comme du verre, mais celle qu'il avait fabriquée lui-même... Il avait fallu visiter les noisetiers pour découvrir le rameau fourchu solide et d'un parfait écartement sur les deux branches duquel on fixerait, ligaturées, les étroites lanières d'un épais caoutchouc découpées dans une chambre à air d'automobile inutilisable qu'on était allé quémander chez le mécanicien du quartier. Un rectangle de cuir de petite dimension, déchet récupéré chez le cordonnier « fermait » la fronde.

Cette dernière terminée on éprouvait d'abord sa solidité en la chargeant au château de baies sauvages — « gratte à cul », « poires à bon Dieu », « pelousses » qu'on envoyait le plus loin possible, en étirant au maximum le caoutchouc... Succédait le test de l'adresse : des bouteilles vides alignées sur les rochers servaient de cible. Parfois, on préférait viser les isolateurs « les tasses » des poteaux électriques. Alors seulement, on pouvait s'engager dans les troupes d'élite des « garnements du Château » et participer à des combats et des assauts homériques sur les pentes du Mont-Orgier qui se terminaient par une arcade sourcilière éclatée.C'est dans une corniche de la falaise du Mont-Orgier que les frondeurs faisaient leur provision d'ossements

La fronde était aussi l'arme de chasse providentielle des jeunes Orgeletains. Ils parcouraient des sentiers buissonneux pour tâcher de surprendre dans le feuillage l'oiseau imprudent... Alors, dans l'attitude du tireur à l'arc, ils expédiaient vers leur proie le caillou rond minutieusement choisi ou bien la tête d'un gros clou récupéré chez le maréchal-ferrant.

Les « becs croisés » qui auscultaient les écorces des grands arbres étaient les cibles les plus recherchées. Les oiseaux, heureusement, se tiraient la plupart du temps sans dommage des expéditions des frondeurs qui, acceptant difficilement leur bredouille, tiraient sur les lézards qui perdaient leur queue dans l'aventure... ou bien alors, ces Thierry la Fronde d'un autre temps se vantaient d'avoir abattu plusieurs oiseaux qu'ils avaient mangés en les faisant cuire à la broche. Pour preuve ils étalaient les têtes et les ossements des victimes. Chacun les croyait et les admirait jusqu'au jour, où intrigués d'avoir souvent vu les chasseurs perchés sur un des « plats » de la corniche du Mont-Orgier des camarades avaient escaladé la paroi et découvert l'excavation d'oiseaux de proie, riche en ossement. C'était là que s'approvisionnaient les « tueurs » qui se faisaient drôlement « chambrer » par la suite.

Plus dangereux pour les oiseaux que l'hiver et la neige avaient rapprochés des maisons, les pièges tendus dans les jardins. Les gamins économisaient quelques pièces pour les acheter chez la quincaillière barbue de la rue des Prètres, prétextant avec « toupet » qu'ils serviraient à capturer les souris... Un carré de pain platé sur une pique, un ressort qui se détend brusquement, deux mâchoires d'acier qui se referment et l'oiseau affamé était irrémédiablement condamné.

Heureusement, on ne piège plus les oiseaux maintenant... et les enfants eux-mêmes adtnirent l'incessant ballet des mésanges gourmandes, des bruyants moineaux, des verdiers voraces, des pinsons vaniteux en quête de la nourriture qu'ils leur offrent.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 5 décembre 1993