Les moyens de se procurer de l'argent pour les jeunes scolaires
Pendant la décennie qui a précédé la seconde guerre, les familles orgeletaines avaient plus d'enfants que de nos jours et ne recevaient aucune aide. Aussi, l'argent de poche fourni aux jeunes scolaires était pratiquement inexistant.
S'ils voulaient acheter des friandises ou certains articles nouveaux pour la classe, les enfants devaient se débrouiller pour se procurer un peu d'argent. La retraite aux flambeaux, la veille de la fête nationale le 13 juillet et patronale le 14 août leur donnaient la première occasion de «&nbss;s'enrichir ». Les rues de la ville n'étaient pas assez éclairées pour que les musiciens de la fanfare municipale puissent déchiffrer leur partition. Alors, chacun était accompagné par un porteur de lampion dont la lumière aux arrêts illuminait les notes... et les visages aussi, exagérant les défauts comme un gros plan sur l'écran de télévision... Cette « randonnée » pédestre aux flambeaux rapportait 50 centimes (10 sous) aux porteurs de lumière.
Les « battoirs » permettaient aussi aux petits débrouillards de gagner quelques pièces. Pendant une matinée ou même toute la journée selon l'importance des récoltes, en filigrane dans la poussière de blé, « l'esclave volontaire », avec des gestes de robot, ramassait et assemblait par cinquante les liens en fer que jetaient ceux qui déliaient les gerbes. Exténué le soir, il recevait « son salaire » et participait en plus au repas « cochonaille ».
La fatigue accumulée n'était plus que souvenir quand les carillons des cloches chantaient un baptême et qu'il fallait, quand sortaient de l'église le parrain et la marraine, se jeter sur les dragées et, surtout, sur les pièces qu'ils jetaient par poignées. Les « sous » étaient la proie convoitée par les jeunes fauves qui, pour s'en saisir, bousculaient, oubliant la galanterie leurs camarades filles. Plus calme était l'enfant de choeur qui recevait, à la fin de la cérémonie, un cornet de dragées et des menues monnaies.
Rarement la manne tombait du ciel. Ce fut le cas cependant plusieurs années de suite quand s'abattirent sur les arbres des hannetons si nombreux que le maire, pour préserver les feuiles, encouragea la « récolte » des coléoptères, payés cinq sous le kilo. Jamais arbres ne furent autant secoués... et jamais écoliers n'ont fait aussi vite « fortune » ces années-là.
Si pourtant. A condition qu'ils aient la chance d'être acceptés pour « renquilleur »... Mais il y avait peu d'élus et c'était souvent les mêmes, organisés en une imposante jeune mafia, bientôt d'ailleurs éléminée au profit des adultes. Les « quilles » étaient très en vogue à l'époque et les passionnés misaient des sommes importantes. Le renquilleur relevait et replaçait les quilles abattues et renvoyait la lourde boule en buis... C'était « payant » car, à chaque levée victorieuse, le gagnant donnait des étrennes, proportionnelles à son bénéfice.
Quelquefois, les pièces obtenues récompensaient une bonne action. On se chauffait encore beaucoup aux copeaux, voire même au « poussec » alors les gosses, le jeudi, allaient dans les tourneries ou sur le plateau de l'Etang ensacher des combustibles qu'ils livraient aux personnes âgées de la ville...
Tous ces moyens de s'enrichir ont été abandonnés, un seul a survécu, le porte-à-porte pour le Mardi gras... Aujourd'hui, comme jadis, les enfants déguisés et masqués visitent les commerçants et les habitants pour quémander quelques pièces... En général, ils sont bien accueilllis, car les quêteurs de 1993 rappellent aux sollicités les « mendiants » masqués qu'ils étaient jadis et qui maudissaient les radins qui leur fermaient la porte au nez sans rien leur donner.
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès en 1993