Un petit tour sur la promenade de l'Orme
«L'air d'Orgèlet, sur le soleil couchant, est tant bon que si vous sortez d'un banquet et si vous allez à la promenade sur ce quartier l'appétit vous sera revenu dans une demi-heure.» Ainsi s'exprimait, parlant de la promenade de l'Orme, en 1592, l'écrivain régional Gollut.
C'est par la rue rectiligne du Faubourg qui fuit vers la plaine marécageuse du Vernois mais qui s'infléchit pour entrer « sous l'Orme », ou par la rue de Vallière sur laquelle dégringolent les quelques escaliers d'accès à la promenade, qu'on pénètre sur cette éminence boisée qui domine le «champ de Foire».
Cette promenade est moins fréquentée qu'autrefois, quand au XVIIIe siècle chaque dimanche y venaient en famille les Orgeletains pour profiter de l'ombre des grands arbres et admirer, dans les allées, l'adresse des joueurs de quilles. Maintenant, environ cinq ou six fois par an seulement s'y disputent des compétitions de boules ou de pétanqe qui ne déplacent pas foule. Plus nombreux sont ceux qui s'y retrouvent le 15 août à l'occasion de la fête patronale, les stands et les manèges occupant la promenade. Mais les fêtes maintenant n'ont plus l'ambiance de celles de jadis avec leurs « terribles » batailles de confetti et les « cris-cris » qui permettaient de faire voltiger les filles entortillées sur leurs sièges par de longues chaînes. Une fois par an aussi la kermesse de la paroisse ou celle des pompiers, se réfugie en plein été sous l'ombrage des tilleuls et des ormes.
Mais la « promenade » n'est plus un des lieux privilégiés des Orgeletains, peut-être déjà parce que l'extension de la ville dans sa direction lui a enlevé son caractère de havre de repos, de thébaïde.
Elle fait partie de la cité, mais on ne cherche plus à percer, le mystère et la date de sa création, et on accepte la mention « ancienneté indéterminée » (pourtant en 1422, elle existait déjà !) et on ne conteste plus l'origine des grands arbres plantés, dit-on, sous le bon roi Henri et Sully.
Il y a quelque trente ans, nombreux étaient ceux qui venaient admirer le tilleul phénomène qui atteignait, à un mètre du sol, 8,85 m de circonférence. Les adultes en s'empoignant tentaient de l'entourer, tandis que les enfants bondissaient sur les racines visibles et bosselées qui cernaient l'arbre comme d'énormes tentacules de pieuvre. Le tilleul, creux à l'intérieur, a dû être abattu...
Le kiosque hexagonal érigé au centre de la « promenade» et sur lequel, autrefois, plusieurs fois par an, la fanfare municipale offrait un concert aux Orgeletains, a disparu en même temps que l'harmonie. Ainsi se sont éloignés de l'Orme les mélomanes. De moins en moins nombreux y viennent les passionnés d'histoire pour retrouver dans le mur de soutènement la pierre qui porte la mention « Révolution An II », relique d'un monument élevé jadis sur la place au Vin.
Etonnant aussi que cette « promenade » n'ait jamais été le lieu « réservé » à un quartier, et en particulier aux enfants du Faubourg, qui préféraient orgainiser leurs jeux « En Vallière » et la « promenade » serait souvent abandonnée — les adolescents et les anciens préfèrenr celle des « Petits Arbres » — si n'y circulaient — malgré l'interdiction — pour tester des dérapages contrôlés des motocyclistes.
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès, le 26 janvier 1992