La place au vin

Orgelet -  la place au vinEn venant de Lons-le-Saunier, l'automobiliste qui arrive à Orgelet débouche sur la place au Vin cernée autrefois par plusieurs lignes de remparts et les premières pentes qui conduisent au Mont-Orgier. Elle doit son nom à une sorte de négoce d'autrefois. En effet, c'était à cet emplacement, qu'après les vendanges, les vignerons du bas pays étaient autorisés à vendre leurs récoltes. Et ce commerce était une des principales sources de revenus de la ville. Ainsi en 1754 les droits qui se montaient à cinq sols par baril rapportaient 2 000 francs par an et cela malgré les fraudes. Ce lieu de transaction sur le vin existe encore en 1777 puisqu'un réglement général de cette date condamne à dix livres d'amende les vendeurs qui n'observent pas cette obligation et qui vendraient du vin à un autre endroit de la ville.

Orgelet - La place au VinMais cette place revêtait au Moyen Age un autre intérêt ; c'était sur elle que s'ouvrait la principale porte du bourg appelée porte de l'Orme... et c'était près d'elle que se rendait le Conseil de la ville pour accueillir les grands personnages qui n'entraient qu'avec sa permission et après avoir juré "de respecter les libertés de franchises accordés jadis à Orgelet par les seigneurs". Et les ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi, puis plus tard Philippe le Bon et Charles le Téméraire, enfin en 1482 le roi de France Louis XI qui se rendait en pèlerinage à Saint-Claude ne purent fouler le sol de la place qu'après avoir prononcé ce serment. Ils purent alors visiter l'hôpital qui depuis 1292 s'y trouvait situé. Il comprenait un vaste bâtiment construit en pierres de taille de belle apparence, au coin de la place et de la rue du Commerce, baptisé "hôpital Notre-Dame". Pendant près de trois siècles, il sera le refuge des malades avant d'être ruiné en 1595 par le maréchal Biron lieutenant de Henri IV, désireux de s'approprier les places fortes de Franche-Comté. Rétabli aux frais des bourgeois, il disparaîtra définitivement au cours des incendies de 1637 et 1674 allumés par les troupes françaises.Orgelet - la place au vin

1791 : un autel de la Patrie

Les remparts abattus, la porte démolie, la place au Vin perdra un peu de son intérêt, sauf pour les membres du Conseil de ville qui siégeaient dans la tour carrée de la vaste maison, au bas de la rue, et pour les collégiens des quatre classes installées au XVIIIe siècle dans le même bâtiment jusqu'en 1795.

Pendant la première moitié de la Révolution, elle reprendra son importance car elle sera le centre des cérémonies civiques en plein air, auxquelles participeront tous les habitants pour fêter les idées nouvelles et célébrer les principaux anniversaires de la Révolution. Ainsi pour le 14 juillet 1791, second anniversaire de la prise de la Bastille et premier de la fête de la Fédération, il a été décidé d'y construire un "autel de la Patrie" obélisque en planches sur lequel sera peint l'attribut de la Très Sainte Trinité ainsi qu'une couronne civique dans laquelle sera inscrit : la Nation, la Loi, le Roi.

Orgelet - la place au VinEt puis, quelque temps après, deux membres de la société des Amis de la Révolution exigèrent la plantation d'un arbre de la Liberté, un jeune chêne pris avec ses racines dans la forêt de Crance. Son inauguration fut l'occasion d'une grande liesse populaire tandis que sur une estrade étaient présents tous es corps constitués (conseil municipal, directoire du district, tribunal, clergé constitutionnel) et que la Garde nationale fut passée en revue. Hélas cette première plantation fut un échec ainsi que la seconde en janvier 1794 malgré les belles promesses symboliques de l'orateur qui affirma « que ces jeunes arbres prospéreront suivant les voeux des patriotes et rappelleront à nos neveux l'ouvrage des Français qui ont recouvré leur liberté ». Après, les fêtes révolutionnaires déserteront la place au Vin pour celle « des Ormes » près du champ de foire.

Un renouveau au XXe siècle

Pendant le XIXe siècle la place au Vin qui n'est pas — et de loin — le quartier le plus peuplé de la localité puisqu'elle ne groupe que 10 familles en 1846 alors qu'on en compte 57 dans la rue du Commerce toute proche, 74 rue de l'Orme et 83 dans la Grande-Rue est le théâtre de rassemblements pacifiques d'Orgeletains qui commentent et acceptent sans passion les nombreux changements de régime et les principaux événments internationaux.Publication des dépèches offcielles de la guerre 1914-1918 à Orgelet

Et puis soudain au début du XXe siècle elle s'anime de nouveau parce qu'elle s'enrichit d'un hôtel spacieux, parce que chaque premier dimanche du mois le corps des sapeurs-pompiers y fait manoeuvre, parce que, en 1912, elle va être éclairée par la première ampoule électrique devant trois cents spectateurs médusés, parce que pendant la guerre 1914-1918 le garde champêtre y fera lecture des communiqués, parce que la fanfare municipale y donnera des concerts suivis par un nombreux public, parce que la jeunesse du pays y fera des stages prolongés.

Manoeuvre des sapeurs-pompiers sur la place au vin d'OrgeletDe nos jours, à cause de l'extension de la ville qui la rejette presque à la périphérie, à cause du déplacement des commerces, elle n'est plus la place privilégiée des événements importants... Elle s'est transformée en place carrefour et en place parking... Cependant c'est toujours avec une espèce de pincement au coeur que les Orgeletains prononcent son nom, car elle reste pour eux le haut lieu de l'histoire locale... dont la maison à la tour, superbement restaurée, reste le témoin muet.

ANDRE JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 5 février 1984