Jadis haut lieu révolutionnaire, elle pourrait vivre aujourd'hui en autarcie.

la rue du faubourg de l'Orme à Orgelet"L'air d'Orgelet sur le soleil couchant est tant bon que si vous sortez d'un banquet et si vous alliez à la Promenade sur ce quartier, l'appétit vous sera revenu dans demi-heure." Ainsi s'exprimait, parlant du Faubourg et de la Promenade de l'Orme, en 1592, l'écrivain régional Gollut.

Difficile en tout cas pour tous les Orgeletains de faire une cure de ce "bon air" à n'importe quelle heure, car cette rue et les maisons environnantes étaient en dehors de l'enceinte de la ville - d'où son nom de "faubourg" - et la porte de l'Orme, les remparts et les fossés l'isolaient des autres quartiers de la ville. Ce n'est qu'en 1774 que seront supprimées toutes ces entraves à la pénétration et que la rue du Faubourg-de-l'Orme prendra l'aspect de toutes les autres avec ses maisons d'habitation, ses boutiques de commerçants, ses ateliers d'artisans. Pourtant, il semble encore qu'aujourd'hui ce quartier ne se soit pas complètement libéré de son isolement d'autrefois ; il est en tout cas celui que ne découvre que tardivement les touristes.

La promenade de l'Orme à OrgeletUne muse sous les tilleuls

La rue rectiligne qui fuit vers la plaine marécageuse du Vernois bifurque pour s'étaler sur la Promenade de l'Orme à l'ancienneté indéterminée, mais la grosseur des troncs d'arbres, la hauteur des branches prouvent leur vieillesse.

Ne disait-on pas que l'énorme tilleul qui atteignait à un mètre du sol, 8,95 mètres de circonférence et qui, par mesure de sécurité, a dû être abattu il y a quelque trente ans, qu'il datait du bon roi Henri ? Cette promenade a vu défiler et muser sous ses ombrages de nombreuses générations ; on y jouait aux quilles dans les allées au XVIII° siècle, on y joue aux boules actuellement ; on cherche encore la pierre du mur de soutènement qui porte l'inscription : " Révolution An II ", relique d'un monument élevé jadis sur la place au Vin ; on venait y écouter les concerts donnés par la fanfare municipale sur le kiosque aujourd'hui démoli ; on s'y bouscule toujours le 15 août quand, à l'occasion de la fête patronale, s'y installent les stands et les manèges.

Le couvent des capucins à OrgeletEn face de cette promenade, se dresse un grand bâtiment entouré d'un parc, ceint de hauts murs, auquel un perron donne accès à une porte monumentale. Là, était le couvent des capucins, fondé en 1720 par des religieux sanclaudiens de l'ordre de Saint-François. L'achat du terrain, au lieu dit "Champ Perrard", les premières constructions ont été réalisées grâce à la générosité de l'abbé de Marnix, dont une place porte le nom à Orgelet.

L'édifice est bâti en équerre. Dans l'aile qui donne sur la rue était située la chapelle dont on peut encore apercevoir les voûtes. Diverses pièces et cellules occupaient les au-tres ailes. Elles servaient de domicile à cinq ou six moines dont la principale fonction était de prêcher. Ils participaient aussi à la lutte contre les incendies. Ainsi, ils combattirent celui qui épargnant le faubourg, détruisit plus de cinquante maisons en 1752. Ces moines seront dispersés par la Révolution en 1792 et le bâtiment, le mobilier, l'enclos devenus biens nationaux seront vendus à des particuliers. C'est aussi cette année là qu'on baptisa l'emplacement au pied de la Promenade, place des Armes et qu'on y célébrera les principales fêtes révolutionnaires. Ainsi, le 14 juillet 1792, la cérémonie anniversaire se déroulera en ce lieu. Il y sera élevé "un autel sur une estrade... et une pyramide au milieu de laquelle sera placé le bonnet de la Liberté en fer blanc, peint des trois couleurs au bas duquel sera un emblème portant ces mots : Fédération de l'An II de la Liberté 1792". Quelques mois plus tard, en novembre, la Société populaire fera planter sur cette place un chêne , arbre de la Liberté, qui sera mis en terre en grande pompe devant les autorités de Garde nationale, la gendarmerie et le peuple.

Le champ de foire à OrgeletQuelques années avant ces événements, cette rue connaîtra soudain une fréquentation plus importante, parce qu'elle débouchera sur le champ de foire. C'est en effet en 1777 que la ville décida d'acquérir deux terrains au bas de la Promenade, pour y établir un champ de foire "de bonnes dimensions". Précédemment, le lieu réservé à la vente des bestiaux était indiqué chaque matin des jours de foire et changeait suivant la saison. Depuis cette année donc, il régnera une activité débordante jusqu'à la guerre 1939-1945. Les maquignons venaient de loin acheter la "viande rouge" ; les enchères donnaient lieu à de longues discussions et l'accord réalisé, chacun se retrouvait autour des bancs des commerçants installés depuis 1782 dans les "places à cabarets" pour s'y restaurer et s'y désaltérer.

Presque en autarcie

couvent-collège des Ursulines à OrgeletLa rue du Faubourg-de-l'Orme, habitée par 14 foyers seulement à l'aube du XIXe siècle, s'enrichira en 1833 d'une vaste propriété jouxtant la Promenade, achetée par un inspecteur divisionnaire des Ponts-et-Chaussées, plusieurs fois député du Jura : M. Cordier. Généreusement mise à la disposition de l'abbé Levesque, la propriété sera le terrain à bâtir idéal pour un vaste bâtiment avec une chapelle qu'entoureront des cours et un jardin. Il abritera 25 Ursulines, "professes et non cloitrées" sous l'autorité d'une supérieure générale. Ce couvent-collège accueillera six pensionnaires et vingt-cinq externes, qui recevront "une éducation soignée" jusqu'au début du XXe siècle, quand les lois sur les congrégations chasseront les religieuses. Alors M. Babey, une personnalité orgeletaine et le curé Gros rachèteront bâtiments et mobilier pour y installer une école libre communale qui ne survivra guère longtemps à la guerre 1914-1918. Les soeurs franciscaines gardes-malades y éliront alors domicile.Mercerie dans la rue du faubourg de l'Orme à Orgelet

Souvenons-nous encore qu'en 1871 les Prussiens cantonnèrent dans les maisons de la rue du Faubourg-de-l'Orme, sans commettre ni pillage, ni exaction, et observons au XX° siècle l'installation de commerçants, d'artisans, de professions libérales, même en 1937 d'un cinéma, si bien que de nos jours elle peut vivre en autarcie, sans avoir besoin des autres quartiers comme si la porte la séparait encore du reste de la ville.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 15 avril 1984