Le mariage est un des actes le plus important de la vie. Tout au long de l'histoire orgeletaine des textes nous renseignent sur cette cérémonie. Ainsi, dans la charte octroyée à ses sujets par Jéhan de Chalon en 1266 l'article VIII précise «le droit d'épousailles dû aux vicaires et chapelains par homme et femme est de cinq sous et une écuelle de la viande de la noce d'une valeur de 3 sous. En outre, l'époux donne 12 deniers à la porte de l'église. Le lendemain des noces le mari doit offrir à la grand'messe paroissiale une pinte de vin et l'épouse une chandelle et un pain.
La permission de se marier hors d'Orgelet coûtera dix sous.
Il n'est pas évoqué dans cette charte le droit de cuissage dû dans certaines régions au Seigneur!
Bondissons par-dessus quelques siècles pour évoquer au XVlle siècle une étrange coutume de la demande en mariage par un délégué du futur, baptisé du nom burlesque de Trouille Bondon. Chez les parents de la jeune fille convoitée, l'officieux ami faisait l'éloge des qualités physiques et morales du fiancé en vantant surtout sa fortune. Il arrivait hélas trop souvent que l'envoyé du fiancé s'amourachait de la jeune fille, à la barbe même du fiancé trop crédule dont les prétentions avortaient.
Mais si la mission était agréée, après que les parents eurent vérifié le rapport qui leur avait été fait, la demande était faite solennellement. Alors, au cours d'un festin, le prétendant présentait à la jeune fille, sur une assiette un rouleau de pièces d'or ou d'argent suivant ses ressources pécunières. Si elle mettait les arrhes en poche, c'est qu'elle acceptait le mariage et devenait donc fiancée. Ne restait plus qu'à publier, les bans et signer les contrats. Evidemment, tous ces préliminaires n'intéressaient que les gens de la haute et les bourgeois; en campagne, on faisait moins de simagrées pour se marier.
Passons encore par-dessus deux siècles pour parler des mariages de 1900. Ce n'était guère mieux. La fille, comme à l'époque de Molière était soumise à la dictature paternelle et elle était mariée par les parents, mariage toujours intéressé où ne manquait que l'amour entre les deux jeunes gens... Souvenez-vous : M. Prudhomme veut marier sa fille avec M. Machin un jeune homme cossu!...
Même publication des bans, même signature de contrat, mêmes personnages grimaçants des sourires commerciaux à faire sauter les chapeaux haut-forme et éclater les faux-cols en celluloïd; toujours des épithalames, des Hosanna, des génuflexions, des bénédictions d'alliances en or des mésalliances... des faux baisers pour la galerie de la mairie contrainte à une prostitution légalisée...
Un peu plus tard, nait l'émancipation et on se marie par amour. On s'est connu déjà sur les bancs de la communale : la première «bonamie» avait onze ans, des cheveux blonds ; il l'a protégée et puis leur amour naissant s'est amplifié et ils se sont mariés sans aucune difficulté ; ou bien, ils se sont heurtés à la réticence des parents, mais les deux amoureux sûrs de leurs sentiments respectifs n'ont pas renoncé et ils ont triomphé, ou bien encore, ils se sont rencontrés ailleurs sur les lieux de leur travail ou bien «ils étaient nés l'un pour l'autre» comme le dit le poète Paul Géraldy qui cependant s'interroge : où serons nous ce soir si ce soir là, ta mère t'avait reprise un peu plus tôt, Et si tu n'avais pas rougi sous les lumières, quand je voulus t'aider à mettre ton manteau ?
Le consentement parental donné, commencent les sempiternels épisodes de tout mariage: bague de fiançailles passée au doigt de la promise; fixation de la date du grand jour; entre temps la jeune fille peaufine son trousseau; le fiancé enterre bruyamment sa vie de garçon. Et les voilà enfin en salle de mairie après une lente escalade du monumental escalier, la fiancée au bras de son père, gênée par sa traîne blanche et les tempes serrées par sa couronne de fleurs d'oranger; le fiancé tout derrière, avec sa mère. Le maire lira les articles de l'état civil relatifs aux devoirs des époux, demandera le «oui» prononcé dans un silence religieux et les premières larmes des aïeuls... et puis les félicitations et c'est un couple qui redescendra l'escalier déjà séparé parce que le mariage n'a pas été béni... Procession jusqu'à l'église pour permettre aux curieux de critiquer les habits... Agenouillement devant l'autel, psalmodie d'offres en latin incompréhensible, passage et bénédiction des alliances... Ouf! Cette fois c'est terminé... pas encore avant de se retrouver «enfin seuls» il faudra se livrer au supplice de la photo participer au festin ouvrir le bal, supporter pour la mariée la main balladeuse qui cherche la jarretelle et puis quand les jeunes époux se seront échappés ils auront à craindre encore l'irruption dans la chambre d'une meute excitée qui les obligera à boire une crème et des gâteaux contenus dans un pot de chambre et qui imitent parfaitement autre chose. C'est pénible de se marier!
ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans "Le Progrès"