Ce dépeuplement de la campagne orgeletaine dû à une baisse importante de la natalité, à la désaffection des métiers agricoles, de l'attrait de la ville, de la possibilité évidente de poursuivre des études, ne laisse guère de sursis à certaines écoles du village condamnées à disparaître. La première à fermer définitivement ses portes fut celle du hameau de Merlia à la rentrée d'octobre 1922.

Pourtant sur une vieille photo, se présente la classe de Mlle Desarbres en 1918 qui compte encore vingt écoliers (filles et garçons) originaires du hameau ou des quelques moulins situés sur la Valouse. La plupart de ces élèves devaient apprendre rapidement les éléments de lecture, de français, d'écriture et de calcul car les cours n'étaient donnés que de novembre à mars parce que, au printemps, les enfants s'engageaient comme bergers. Pas question dans ces conditions pour les enseignantes, Mme Berthier (1914-15) qui finira sa carrière comme directrice de l'école maternelle d'Orgelet, Mlle Petetin (1915-1917), Mlle Desarbres (1918-19) et Mlle Cabaud (1920-21), de conduire les plus âgés au certificat d'études, d'autant plus que la fréquentation scolaire n'était guère respectée malgré la loi Ferry. Les plus doués quittaient donc très jeunes encore l'école du village pour les grandes classes d'Orgelet. Aussi les effectifs diminuèrent rapidement, ce qui explique la fermeture.
Alors les petits écoliers de Merlia, musette au dos garnie du repas de midi, parcoururent à pied les trois kilomètres aller et retour qui séparaient le hameau du chef-lieu. Et si, à la belle saison, ils musaient par les chemins, l'hiver, emmitouflés dans de chauds vêtements, mais les doigts gourds cependant, quand la route n'était pas encore déneigée, ils faisaient claquer leurs sabots ferrés sur le talus de la voie ferrée, là où le train en passant avait fait fondre la neige.L'école du Bourget disparue dans le lac de Vouglans

Alors, chaque année, malgré la protestation des habitants, plus particulièrement des parents et la menace de démission des conseils municipaux, l'épidémie de fermetures s'amplifiait : les victimes furent d'abord les classes de hameaux : Chatagna, Rippes d'Arthenas et Rippes de Cressia, les élèves étaient scolarisés dans les communes les plus proches... Puis survint « l'affaire du Bourget » commune sur les rives de l'Ain qui a accueilli dans son école, où officiait depuis longtemps un maître compétent Lucien Michaud, une trentaine d'élèves de 5 à 14 ans venus du bourg, de ses dépendances, les fermes du bord de la rivière : Pethières, Vaucluse, du hameau de Bellecin et même de la commune de Brillait qui administrativement dépendait du canton de Moirans.
Tous les écoliers venaient à pied, et ce n'était pal toujours facile l'hiver... Or, dès 1962 survint le projet de construction du barrage de Vouglans ; les villages vont être noyés et en juillet 1967 après un sursis d'un an les bulldozers entrèrent en action et le lac recouvrit à jamais ses ruines.

Les écoliers et l'instituteurs M. Michaud en 1959, huit ans avant la disparition de l'école dans les eaux du lacCe sacrifice du Bourget ne fit pas cesser l'hémorragie des fermetures. Même les écoles, qui semblaient parfaitement sereines, se dépeuplèrent et n'échappèrent pas à la sanction suprême. En 1994 sur les vingt sept écoles du canton, il ne restait que Pimorin (effectif quatorze élèves), Alièze (effectif dix-huix élèves), Beffia (école maternelle avec neuf élèves). Déjà s'étaient constitués des regroupements pédagogiques : Dompierre regroupé avec Poids-de-Fiole, Nogna et Saint-Maur sur le site de Poids-de-Fiole ; Arthenas regroupé avec Saint-Laurent-la Roche et depuis peu avec Pimorin ; Cressia regroupé avec Augisey... Quant à l'école maternelle, elle avait disparu de la carte scolaire.
Aujourd'hui il n'existe plus d'école à tous les cours dans le canton, ce qui augmente fortement les effectifs du chef-lieu. Et quand on se promène dans les villages, l'ancien bâtiment de l'école, toujours bien entretenu qui abrite la mairie, un foyer rural souvent ou qui a été loué ou vendu parfois, évoque une enfance studieuse ou non, mais en tout cas gavée de bons souvenirs... Alors parfois quelques curieux jettent un coup d'oeil à l'intérieur espérant retrouver l'aspect de la classe quand ils étaient élèves. Hélas, rien n'est pareil et même la cloche restée suspendue au pignon et qui avertissait des récréations est aphone maintenant... et de rêver alors à l'instituteur de cette époque, peut-être moins riche en savoir, mais beaucoup plus doté de savoir-faire.

André Jeannin
Article paru dans le Progrès