Être élève du primaire dans les années 1930
Le 7 octobre 1988, les classes primaires ont occupé le nouveau bâtiment, avenue Lacuzon, qu'avaient étrenné un mois et demi auparavant les « petits » de la maternelle. Tous les élèves n'ont éprouvé aucun regret à l'encontre de leurs classes logées dans l'ancien couvent des Bernardines.
Intéressant alors d'évoquer une journée scolaire au début des années 1930, avant les vacances de Noël... Il fait froid ! Les enfants sont tous venus à pied, cartable au dos chaussés de sabots d'où émergent d'épaix chaussons tricotés en laine noire, vêtus de lourds pull-overs protégés par de solides blouses bien rêches. Dans les immenses salles où ils entrent, le feu ronfle ou ronronne dans un grand poêle de fonte, au gré du pourvoyeur de sa place par rapport au fourneau et des réserves de bois, que les élèves, corvéables à merci, iront chercher à la récréation, sous les ordres du responsable, à la brassée, au bûcher bien garni...
La leçon de morale débute le programme de la journée, suivie de la demi-page d'écriture à la plume gauloise qui permet les pleins et les déliés, et qu'on trempe délicatement dans un petit encrier en faïence blanche, qu'un élève de service a rempli, le matin. Epreuve de dictée ensuite, au cahier mensuel, dictée très importante suivie de questions de compréhension et de grammaire qui « collabore » au classement de l'élève.
Les cloches, encore suspendues de nos jours, ne sonnent que pour annoncer la récréation. Alors c'est la descente, en rangs, dans la cour où les plus audacieux et les « non ferrates » — c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de fers sous leurs sabots — se lancent sur la glissade en des équilibres périlleux et se heurtent au petit mur à barrière qui sépare « la cour du haut » de celle « du bas » où d'énormes marronniers s'ébrouent de leur neige sur l'avenue des Bernardines, appelée à cette époque « Derrière les soeurs ».
D'autres élèves moins audacieux et pas frileux, jouent aux billes dans un coin abrité contre le mur de deux mètres le premier « mur de la honte » construit pour séparer la cour des filles de celle des garçons et qui se casse sur deux énormes acacias qui obscurcissent les salles du premier étage. Il était sacrilège, à cette époque de songer à la mixité des classes. Il y avait une école de filles et une école de garçons. Celle des filles, était un gynécée, on ne savait ni ce qu'on enseignait ni comment on le faisait et comme il était interdit de leur parler même dans la rue de peur d'être surpris par leur directrice, qui se croyait gardienne de vestales, on ne les découvrait qu'au certificat d'études où l'on constatait qu'elles brillaient autant que les garçons que leur enseignement avait été le même que le leur et que certaines, comme certains garçons, plus douées étaient compétitives pour la première place du canton qui rapportait un livret de Caisse d'épargne chargé de 50 francs au lauréat, les lauriers et les palmes académiques « au maître ».
Pour obtenir ce CEPE qui donnait droit à l'entrée en 6e, il avait fallu trimer le soir, car à cette époque, la valeur et la notoriété d'un instituteur étaient directement proportionnelles à la quantité de devoirs à faire à la maison et de leçons à apprendre pour le lendemain ! Ce serait plutôt le contraire maintenant !
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès