Et si les enfants jouaient comme autrefois
Dans les années 1930, les garçons et les filles d'une dizaine d'années aimaient autant se divertir que les enfants d'aujourd'hui du même âge... Mais leurs jeux ne ressemblaient pas à ceux pratiqués en 1993. La grande passion, c'était les billes ! Dans la cour de l'école, dans les rues, sur les places, on jouait aux billes, en doublettes, mais plus souvent à quatre ou à cinq. On ne comptait qu'en monnaie billes, qu'on amassait, ensachait, triturait, comptait comme Grandet opérait avec son or. Les transactions difficiles se faisaient en billes : quatre pour un caramel, cinq en argile pour une en pierre, vingt pour une monnaie plus forte : l'agate aux reflets d'arc-en-ciel ; on échangeait un taille-crayon pour trente billes !
Il est vrai qu'avec elles, il y avait cent moyens de s'amuser. D'abord ceux qui permettaient d'enrichir son capital ou de provoquer une faillite : le « pot » , qui ne faisait appel qu'à la chance, puisqu'il suffisait pour gagner la part mise par l'adversaire de jeter une poignée de billes au fond d'un trou peu profond (le pot) et qu'il en ressorte un nombre pair.
D'autres jeux exigeaient de l'adresse : le « petit tas » , pyramide de billes qui appartiendrait à celui qui la « déguillerait » en lançant une agate sur elle ; «la raie» , exercice des plus difficiles, où la pyramide était remplacée par une lignée ; seuls les spécialistes réussissaient ; le « carré » ou « triangle » garni de billes, qu'il fallait sortir « au pouce » avec une « pierre » , du carton géométrique.
Bien vite aussi, furent inventés des jeux avec des règlements : le « football » qui demandait une adresse diabolique (et il y avait des diables !) et un coup dé pouce magique ; le « tour de France » où, toujours au pouce, on devait faire avancer une bille sans qu'elle quitte la voie d'un itinéraire étroit et tortueux tracé sur le sol.
Que de joies elles ont apporté ces petites sphères d'argile, mais que de déceptions aussi, que de rancoeurs quand elles s'échappaient en classe de poches trop bourrées et que l'instituteur les confisquait. Les filles, elles, jouaient à la « culotte » ou, pour employer le terme exact, « à la marelle ». Elles traçaient, dans toute la cour, sur les trottoirs, des ensembles de carrés et, sur un pied, comme des hérons, avançaient sautillantes en essayant de ne pas marcher sur les traits vers un morceau de tuile qu'elles avaient jeté préalablement dans l'un des carrés.
Les garçons, souvent, avaient besoin de se défouler en pratiquant des exercices plus violents : « l'ours » , on s'accumulait violemment les uns sur les autres jusqu'à ce que s'écroule, comme une mêlée au rugby, l'ossature humaine du dessous.
Evidemment, le football attirait, mais les jeunes garçons devaient faire leur apprentis sage seuls, la société sportive ne s'intéressant qu'aux adultes... Alors, ils tapaient dans le ballon dans certaines rues et au champ de foire... Rares aussi étaient les randonnées à bicyclette, car bien souvent cette dernière était le cadeau pour la réussite au certificat... Et on l'utilisait le plus souvent pour tourner dans la ville. On préférait de beaucoup grimper au mont Orgier pour disputer des combats homériques à l'épée factice, puis à la fronde chargée au début de « poires à Bon Dieu », ensuite de « gratte à cul », enfin de cailloux... et qui se terminaient inexorablement par une arcade sourcilière éclatée.
Comme ces jeux apparaissent désuets de nos jours !
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès