Déguster la galette au quemeau chez le Titi et l'Odette

Soupers champêtres au Pont-de-la-PyleAller manger une friture au Pont de la Pyle était devenu le but des sorties dominicales des Orgelétains, et bien vite les clients, toujours aussi nombreux, hésitaient entre les petits poissons, les filets de perche, la truite au bleu, une spécialité culinaire, les escargots du pays, le poulet au vin jaune ou en entrée le pâté en croûte maison...

Lla guinguette du pont de la Pyle en 1959En dessert, aucune hésitation, on réclamait une tarte ou une galette au quemeau, qui venait toujours de sortir du four, car on en « passait » tellement qu'il y avait toujours quelqu'un à la cuisine qui pétrissait la pâte, qui préparait le quemeau ou alignait les fruits, et qui surveillait le four. Les tartes de Mme Verguet et ses galettes au quemeau sont passées à la postérité comme les omelettes de la « Mère Poulard » au Mont-Saint-Michel... On venait les déguster à l'heure du goûter, à l'apéritif, au « souper »...

La guinguette du pont de la PyleLe restaurant était bourdonnant d'activités, comme un essaim d'abeilles résonnant de mille bruits, du choc métallique des casseroles, des heurts de verres, des appels des clients, des ronchonneries de certains, de la sonnerie du tiroir-caisse, de la voix de stentor du « patron » et puis fusaient des « oh ! » d'étonnement en même temps que s'éteignaient toute les lumières, une minute pas plus, le temps d'aller relancer à la manivelle le groupe électrogène récalcitrant.

Le nouveau et l'ancien pont de la PyleCommencèrent alors les travaux du barrage de Vouglans, qui entraînèrent la constructuion d'un nouveau pont et la destruction de l'ancien, que des ferrailleurs mal équipés précipitèrent sans le vouloir dans les flots montants en le coupant en son milieu. Cette période de grands travaux attira sur le site une nuée de visiteurs, presque tous clients du restaurant... mais programma aussi sa prochaine disparition, qui eut lieu quelques mois avant la mise en eau du barrage en 1968. Le baraquement préfabriqué était condamné, alors fut tentée une manoeuvre phénoménale, le transfert du bâtiment non démonté sur le plateau d'un semi-remorque qui lentement, par une route pentue, gavée de virages accentués, arriva jusqu'au « replat » pour y déposer, miraculeusement indemne son étrange chargement. Et le restaurant reprit vie, en accueillant ses clients toujours plus nombreux. L'eau provenait toujours de la même source, l'électricité d'un transformateur placé par E.D.F. : c'était la nouveauté. Le couple Verguet, ayant quitté leur magasin de Lons-le-Saunier pour venir habiter Orgelet, ne se contentait pas d'ouvrir le restaurant seulement le dimanche. De Pâques à la fin octobre on pouvait aller dîner au Pont de la Pyle ou simplement boire un coup ou déguster une part de tarte ce que faisaient souvent les pêcheurs, qui un peu Tartarin montraient leurs prises - perches ou brochets - de belle taille mais toujours moins grosses que celles de la veille que personne n'avait vues.

Cet état de grâce du restaurant dura jusqu'en 1972. Pour des projets qui ne seront jamais réalisés, prétexte fallacieux, l'administration ordonna de démolir le préfabriqué, donnant priorité aux propriétaires pour construire un restaurant qu'on aurait souhaité « trois étoiles ». Ils le firent, vierge d'étoiles, mais à La Tour-du-Meix, un grand bâtiment comprenant une salle de café, une vaste salle à manger, une spacieuse cuisine avec un matériel adéquat et de multiples autres pièces. Ouvert tous les jours, il accueillit bien sûr les anciens clients toujours très fidèles, mais aussi les routiers qui appréciaient les menus avec des plats simples, naturels, mais excellents.

Auberge de la TourAux fêtes annuelles, Pâques, la Pentecôte, le 15 août, il fallait réserver comme pour les repas de communion ou celui du réveillon du Jour de l'An. Le restaurant devenait une « entreprise » car tous les membres de la famille étaient mobilisés. De nombreuses classes d'écoliers en voyage scolaire y faisaient une longue pause pour se distraire, rire aux éclats en écoutant, dans sa cage Pierrot le ménate d'une voix très distincte demandant au client qui sort « Tu as payé ? » ou interpellant le président de la République de l'époque : « Pompidou des sous » ou devenu patriote sifflait les premières notes de la Marseillaise. A l'âge de la retraite bien méritée, M. et Mme Verguet vendront leur restaurant toujours très fréquenté et deux autres surgirent sur le replat, le « Surchauffant » et la « Guinguette »... mais combien rêvent encore des tartes et des quemeaux de l'Odette !

André  Jeannin
Article paru dans le Progrès