Au temps de mini-guerres de religion orgeletaines
Les Orgeletains qui sont nés dans les quarante premières années du siècle se souviennent certainement des processions religieuses de la fête Dieu auxquelles ils ont participé ou simplement qu'ils ont regardé passer... Très oublié et très éloigné, probablement avant 1900, le temps où les gens, sur son parcours, décoraient leurs fenêtres de pots de fleurs ou bien de cadres, de statues de saints, de draps blancs piqués ça et là de petits bouquets.
Lentement, sous la conduite d'un Suisse en uniforme, armé d'une espèce d'hallebarde, le prêtre en luxueux habits sacerdotaux tenant le saint Sacrement abrité sous un dais porté par quatre croyants, escorté par des enfants de choeur en soutane rouge qui balançaient en cadence des encensoirs se dirigeait vers le reposoir placé à la hauteur de la chapelle des Bernardines. Il ressemblait à un autel couvert de draps blancs, fleuri piqueté de bougies et de cierges plantés des chandeliers en argent.
A chaque extrémité d'une estrade qui servait d'escalier, étaient agenouillées des petites filles en robe bouffante blanche avec des ailes en papier doré, symbolisant des anges tandis que des garçonnets vêtus de peaux de mouton, représentaient de jeunes Saint-Jean.
De l'église au reposoir le cortège avançait à petits pas en chantant des hymnes à la gloire de Dieu, puis s'arrêtait quand un «meneur» fermait bruyamment une sorte de plumier afin que les enfants puissent lancer des pétales de fleurs - coquelicots, bleuets, marguerites, cueillies dans les prairies. A la bénédiction la fanfare d'Orgelet se faisait entendre et au son d'un pas redoublé, on repartait pour l'église.
Cette procession traditionnelle de la fête Dieu s'est déroulée sans accroc jusqu'en 1900 environ. Après l'arrivée au pouvoir sur le plan national du Bloc de la gauche avec Waldeck Rousseau et Combes qui s'en prend au clergé entré dans la vie politique pendant l'affaire Dreyfus et a soutenu les antidreyfusards, le conseil municipal orgeletain, interdit en 1901 les processions religieuses «qui troublent l'ordre du public établi par la loi». Et jusqu'en 1934 aucune procession n'aura lieu dans les rues du vieil Orgelet. Or, le 1er juillet de cette année il est fait demande en mairie de l'autorisation d'aller chercher en cortège un jeune prêtre à son domicile rue des Capucins. Permission accordée mais le dimanche matin, surprenante intervention du chef de brigade de la gendarmerie qui menace de verbaliser.
Un an plus tard, Charles Pelot curé d'Orgelet dont beaucoup se souviennent encore de sa haute taille et de son intransigeance obtient du maire Amand Verguet l'autorisation d'organiser une procession pour la fête Dieu. Cela provoque l'ère des radicaux orgeletains pas forcément athées ni libres penseurs comme les accusent le Clergé et les bien-pensants qui adressent au maire une mémorable pétition dont voici quelques éléments du texte : «Les croyances religieuses n'ont pas besoin de manifestation publique pour être sincères; au contraire, le vrai croyant ne fait pas étalage de sa foi, elle fait partie intime de son âme». Et puis «la majorité des prêtres catholiques usent de l'autorité et de la confession pour servir les idées politiques des partis fascistes et fascisants soutenant des idées antisocialistes et antilaïques : les menaces sont claires: «Nous vous informons que si ladite procession a lieu une contre-manifestation sera organisée».
Cette pétition ne recueillera pas assez de signatures -vingt-cinq- pour que le maire interdise la procession ; cependant, il en fixera l'itinéraire; il n'y eut pas de contre manifestation mais un électrophone muni d'un haut parleur, dans une maison voisine du reposoir mêla les accents et les paroles de l'Internationale aux Gloria et Hosanna. La fête Dieu continua donc d'être célébrée de cette façon avec cependant transfert du reposoir sur la promenade de l'Orme et dans la cour Ragut au bourg de Merlia. La guerre lui fut fatale.
Ce ne fut pas à l'époque le seul heurt entre les deux clans qui s'opposèrent encore sur la laïcité terriblement critiquée par l'église que «la subira peut être de force mais ne devra jamais l'accepter parce qu'elle vise à ruiner la foi dans l'âme des enfants, parce qu'elle est de nature à ruiner la terre à encombrer les places déjà trop encombrées, à faire des déclassés, à augmenter la crise. Alors au moment de la rentrée scolaire, l'école libre de filles qui existait encore avant la guerre de 1914-18 faisait sa propagande : «La rentrée à l'école libre aura lieu le 7 octobre. C'est une obligation pour les catholiques de choisir cette école de préférence à l'école neutre, c'est-à-dire l'école sans Dieu, à l'école sans prière, à l'école sans instruction religieuse» (Echo paroissial octobre 1912).
Pas étonnant que les enseignants de cette époque «bouffent» du curé et réciproquement. Actuellement, on est tout de même plus tolérant en conservant son idéal personnel tout de même.
ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans "Le progrès"