Quand chaque magasin et boutique avait son enseigne

Autrefois, il y a de cela deux siècles et demi, l'Orgeletain, qui musait dans les rues de sa ville, découvrait de nombreuses enseignes qui révélaient les activités commerciales et artisanales de l'agglomération.

Ancienne enseigne à OrgeletDans les années du début du XIXe siècle, les enseignes mangeaient encore les façades ou attiraient les regards au-dessus des portes des magasins. Bien sûr, plus de traces de celles qui annonçaient les 23 auberges du XVIIIe siècle qui accueillaient ceux qui avaient une affaire à traiter à la subdivision ou au bailliage. Inutile de chercher aussi les pannonceaux indiquant l'échope de ces cordonniers qui travaillaient si bien le cuir des tanneries locales que sous la Terreur, ils furent contraints de fabriquer dix paires de chaussures par décade s'ils ne voulaient pas devenir «suspects». Pendant longtemps pourtant jusqu'au milieu du XXe siècle, les enseignes demeuraient même au-dessus des portes qui ne s'ouvraient plus sur une boutique ou un atelier. Et puis le souci de l'esthétique l'a emporté sur le culte du souvenir, alors quelques coups de pinceau ou un crépissage ont détruit à jamais les vestiges picturaux...

Alors imaginons une promenade en 1930 dans les rues de la vieille ville pour faire une moisson visuelle, très riche d'enseignes. Il y en avait partout, énormes sur les façades de couleurs criardes, en longues bandes rectangulaires au-dessus des portes, plus discrètes mais plus esthétiques parfois, plus classiques aussi se bornant à rappeler le métier, le commerce et le nom du propriétaire ou la marque d'un produit renommé qu'on vendait.

Magasin Gouttsolard à OrgeletAlors surgissaient les «Hôtel de Paris», «Café du Centre», «Café de Paris», «Café des Halles», «Café des Sports» et puis dans la rue commerçante les «Docks francs-comtois», «L'Économique», «Le Caïffa» sans oublier les multiples épiceries, boucheries, boulangeries, merceries... et les chocolats Meynier, les marques d'apéritif en particulier ce Saint Raphaël et en lettres gigantesques sur fond vert qui souillait la façade du bâtiment en face de l'église, et géants les noms des propriétaires : Futin, Gouttsolard , Prat...

Ancienne enseigne "Vins en Gros" Midole à OrgeletA force de les voir, on les ignorait car elles manquaient d'originalité ou d'esthétique. Cependant quelques-unes ont laissé un souvenir inoubliable. Au bourg de Merlia, l'hôtel restaurant du court et ventripotent père Varin arborait sur sa façade l'enseigne du Cheval blanc, un cheval qui galopait crinière au vent, peint par un artiste orgeletain fantaisiste qui s'est moqué de la morphologie de l'animal, à tel point que l'équidé qui avait à la fois du mouton et du lion était devenu aussi célèbre que la jument verte de Jules Haudoin dans le roman de Marcel Aymé. Dommage que les flammes de la vengeance nazie l'aient fait disparaître le 11 juillet 1944.

Insolites aussi, au dessus des deux portes voisines de la Grenette donnant dans la même salle les enseignes en arc de cercle annonçant l'une les engrais et tourteaux Chevillot, l'autre le gymnase Theron... Remisée peut-être dans un grenier, l'enseigne de la boucherie Menouillard à la Grande Rue devant laquelle se sont figés tous les écoliers pendant des décennies : au-dessus de la porte d'entrée courait une galerie en fer blanc festonnée, sur laquelle aux extrémités et en son milieu étaient plantés comme des trophées de chasse une tète de boeuf, une de veau, une de monton en zinc...Chapelier à Orgelet

Disparue aussi rue de la Pharmacie, la dernière enseigne du dernier chapelier orgeletain immortalisée cependant par une photographie : deux chapeaux haut-de-forme, coiffures des bourgeois orgeletains, encadraient un bicorne de gendarme. Plus récentes les disparitions des arcs de marbre qui annonçaient en lettres dorées les écoles. Que sont-ils devenus? Prix de la résistance pourtant à l'enseigne Midol marchand de vin, qui existait encore il y a deux ou trois ans et surtout pour celle, rue des Prêtres, situant l'atelier où oeuvrait un charron-ferronnier dont personne ne se souvient. Enfin, vengeur, le passé ressurgit ; sur des façades restaurées, des lettres ombrent soudain la peinture récente et permettent de situer rue du Commerce une librairie et rue du Château face à la mairie une pharmacie que nul Orgeletain vivant aujourd'hui n'a connues.

ANDRÉ JEANNIN
Article publié le 31 décembre 1995